Ecoles supérieures de Professorat et de l'Education
Françoise Laborde est intervenue dans l'hémicycle du Sénat, le 11 juin 2014, au nom du groupe RDSE, dans le cadre des débats consacrés aux écoles supérieures du professorat et de l’éducation.
COmpte-rendu intégral de son intervention :
"Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, un an s’est écoulé depuis l’adoption de la loi du 8 juillet 2013, qui remettait enfin l’école de la République sur la voie de la réussite, après avoir été sacrifiée pendant une dizaine d’années.
La réforme de la formation des enseignants, par la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, élément phare de la loi, se justifiait non seulement par les résultats décevants des enquêtes réalisées par l’OCDE ou d’enquêtes nationales, mais aussi par l’exaspération des enseignants eux-mêmes, qui estimaient à juste titre n’avoir pas été correctement préparés à l’exercice de leur métier. Le rapport d’information de notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin sur le métier d’enseignant démontrait combien il était difficile pour un débutant – mais pas seulement – de « gérer une classe ».
La formation des maîtres avait tout simplement été supprimée pour réaliser des économies, alors que les dépenses d’éducation – je rappelle qu’il s’agit de dépenses d’avenir ! – s’accroissent partout dans le monde, tous les États ayant saisi l’importance de l’acquisition d’un niveau élevé d’éducation et d’instruction. Ainsi, en 2010, le Gouvernement avait supprimé, au détriment de la réussite scolaire, l’année de formation professionnelle, alors que celle-ci conditionne la réussite de l’entrée des enseignants dans un métier qui ne va pas de soi. En outre, une telle politique était source d’inégalités sociales et territoriales, puisque les débutants exerçaient dans les écoles plus difficiles alors qu’ils n’étaient pas préparés.
Nous en sommes conscients, le rétablissement d’une formation plus complète ne peut pas se réaliser aussi rapidement qu’on le souhaite. Toutefois, le suivi de la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation permet d’étudier les pistes d’amélioration possibles.
Une enquête de l’UNEF sur les conditions d’études parue la semaine dernière et fondée sur 6 500 réponses représentatives de l’ensemble des cursus et des universités met en lumière un record de mécontentement atteignant 79 % au sein des ESPE. L’insatisfaction dans l’ensemble des universités porte sur une orientation qui est d’abord subie, sur les modifications constantes de l’emploi du temps pour répondre au manque d’effectifs, sur le défaut d’encadrement, sur le manque de pédagogie de leurs enseignants formateurs et sur une préparation à l’emploi inefficace.
Certes, cette enquête relève de la précipitation, les ESPE n’ayant débuté qu’à la rentrée 2013. Quelques années devront s’écouler pour évaluer les résultats de la réforme, notamment pour savoir si elle répond aux objections des étudiants. Il convient d’autant plus de faire preuve d’indulgence que la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche bouleverse actuellement l’organisation des universités, qui sont en processus de regroupement.
La professionnalisation tant attendue de la formation reste complexe à réintroduire. Les deux années de master MEEF sont particulièrement chargées pour les étudiants. La première année, outre les enseignements et la préparation du concours, ceux-ci doivent réaliser un stage court. La deuxième année, la réalisation d’un stage à tiers-temps occupe une place prépondérante au sein de leur emploi du temps, avec la préparation des cours et les évaluations des élèves.
Je salue les efforts des différentes ESPE, dont celle de Toulouse – j’ai eu la chance de la visiter avec les membres de la mission –, et du comité interministériel de pilotage, qui ont la lourde tâche de concilier dans un temps très court de deux ans la préparation du concours, l’acquisition des savoirs disciplinaires, l’initiation à la recherche, la fin de la séparation entre premier et second degré, tout en introduisant la professionnalisation de la formation avec le recours à des intervenants issus du terrain. Il faut en effet veiller à ce que les nouvelles écoles ne reproduisent pas les erreurs antérieures, qui ont servi de prétexte à la suppression des instituts universitaires de formation des maîtres. De surcroît, la prise en compte de tous ces objectifs est encore plus difficile dans le second degré, puisqu’il faut y ajouter la spécialisation des étudiants.
La mission d’information a effectué un gros travail d’auditions ; j’en profite pour féliciter sa présidente et son rapporteur. Elle a posé la question d’une continuité entre licence et master. Cette solution est intéressante, comme le prouve l’expérience de l’ESPE de l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, où tous les étudiants de licence peuvent accéder à une unité d’enseignement portant sur les métiers de l’enseignement. Je partage les recommandations qui visent à garantir une meilleure orientation des étudiants.
À ce titre, les ESPE s’interrogent sur la place éventuelle en master 2 des étudiants n’ayant pas réussi le concours. La solution consistant à instaurer une préparation spécifique aux concours en master 2 ne me semble pas pertinente dans la mesure où il en existe une en première année de master. Une telle redondance constituerait une nouvelle charge pour les écoles. Il conviendrait plutôt d’autoriser les étudiants à redoubler, comme cela se fait dans les autres formations de l’enseignement supérieur lorsqu’ils n’ont pas été admis en master 2 alors qu’ils ont réussi leur première année.
Enfin, proposer de réorienter, comme semble y réfléchir le ministère de l’éducation nationale, les étudiants qui ont échoué à l’examen vers une branche à part au sein du master 2 consacrée aux autres métiers, très divers, de l’éducation, tels que médiateur scientifique, éducateur, intervenant en activités périscolaires ou animateur, constituerait une lourde charge pour les écoles, alors que d’autres formations peuvent mener vers ces métiers. Dans ce cadre, le contenu des enseignements ne serait pas évident à définir. Certains de ces métiers ne requièrent pas forcément un niveau de master, et je crains que le choix de ces parcours ne se fasse par défaut, ce qui serait dommageable. Toutefois, la création de passerelles avec d’autres formations est une piste intéressante.
Pour finir, je tiens à le souligner, la réduction du budget de fonctionnement des ESPE de 30 % par rapport aux IUFM me semble contraire à l’esprit de la loi. Certes, les écoles ont un budget propre et intégré, mais limité par les décisions des universités dont elles sont une composante. Le fléchage des moyens prévu par l’article L. 721-3 du code de l’éducation n’a pas été utilisé, sous le couvert de l’autonomie financière des universités.
Les écoles ne doivent pas être victimes de la situation budgétaire dégradée des universités, sur laquelle, je l’espère, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, vous nous apporterez quelques éclairages. Il convient en effet de garantir la soutenabilité budgétaire des établissements d’enseignement supérieur, sous peine de revoir à la baisse les ambitions tracées par la loi de refondation de l’école de la République, de même que celles portées par le Président de la République, qui visaient, faut-il le rappeler, à faire du service public de l’éducation une priorité du quinquennat.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste, du groupe CRC et de l'UMP.) "