Exécution des peines pour les auteurs de violences conjugales - ma proposition de loi
Jeudi 22 février 2018, l'ordre du jour du Sénat prévoit la discussion de la niche RDSE. Mon groupe a choisi deux textes, dont ma propsoition de loi n°621 sur le régime de l'exécution des peines des auteurs de violences conjugales.
C'est mon mon collègue, Guillaume ARNELL, qui présentera la position du groupe en discussion générale.
Si j'ai pris l'initiative de déposer cette proposition de loi, c'est pour soulever problèmes rencontrés dans l’application et l’aménagement des peines prononcées à l’encontre des auteurs de violences conjugales et de tenter d’y apporter une solution.
- Texte de ma proposition de loi n°621
- Consulter le Dossier légilatif
Lire mon intervention :
"Monsieur le président, madame la Ministre, Mes chers Collègues,
La proposition de loi que j'ai souhaité déposer, avec le soutien de la grande majorité des membres du groupe RDSE, a pour objet d’aborder les problèmes rencontrés dans l’application et l’aménagement des peines prononcées à l’encontre des auteurs de violences conjugales et de tenter d’y apporter une solution.
Les circonstances qui m’ont conduite à prendre cette initiative sont, à la fois, le résultat d’une réflexion personnelle engagée sur le fond dans le cadre des travaux de la Délégation aux droits des femmes, dont je suis membre depuis mon élection au Sénat en 2008, mais aussi, le fruit de rencontres avec les acteurs associatifs dans mon département, la Haute-Garonne.
J’ai été alertée par un collectif associatif sur l’incompréhension des victimes de violences conjugales et de leur famille face aux conséquences de certaines décisions judiciaires en matière d’aménagement des peines. Les faits relatés posent le problème dans son ensemble et nous interrogent.
Un homme peut-il être placé derrière les barreaux pour de menus trafics de stupéfiants, alors qu’un autre est placé en liberté surveillée, quand il est attesté par une décision judiciaire qu’il a, à plusieurs reprises, frappé violemment sa compagne ?
Si l’on peut comprendre la démarche des juges d’application des peines qui autorisent ces aménagements, on ne peut rester sourd à la détresse des familles et souvent des enfants qui voient le bourreau de leur mère, laissé libre, suite à une décision de justice qui pourtant l’a reconnu coupable.
Le poids symbolique de cette pratique est extrêmement lourd de conséquences. C’est un contre-signal adressé en matière de lutte contre les violences conjugales.
On objectera peut-être que ma proposition risque d’aggraver le phénomène de surpopulation carcérale. Les lieux privatifs de liberté sont surchargés et la restriction des possibilités d’aménagement de peine aurait directement pour conséquence une augmentation de ces effectifs … mais il s’avère que les violences conjugales sont très spécifiques. Elles se caractérisent par un dénominateur commun à l'auteur des faits comme à la victime, je veux parler du déni, nourri par le phénomène de l’emprise. C’est une caractéristique constante dans ce type de délit.
Le législateur ne doit perdre de vue, ni cette particularité, ni la question de l’avenir des enfants qui sont souvent pris au piège dans des situations délétères pour leur construction et qu’il nous faut protéger. Trop souvent ils sont les premiers témoins, otages et malheureusement victimes co latérales prises dans les mailles des violences conjugales.
La réponse judiciaire est-elle appropriée face à ces violences particulières ? C’est la question que j’ai voulu soulever aujourd’hui.
Dès qu'il y a violences, les institutions doivent réagir à la mesure du problème car laisser les violences s’installer dans l’intimité des couples, c’est laisser le phénomène s’aggraver en fréquence et en intensité. Certains experts ont même proposé de supprimer les mains courantes, en cas de violences conjugales, car elles donnent le signal aux victimes que leur plainte n’est ni prise au sérieux, ni suivie d’effet. Je ne suis pas allée jusqu’à cette extrémité, dans ma proposition de loi. Mais j’ai entendu les conseils de juges expérimentés. L’arsenal juridique dont nous disposons sous-estime la prise en charge des auteurs de violences qui devrait se faire en amont, dès les premiers signalements.
J’ai choisi de déposer cette proposition de loi pour pointer l’inadéquation des mesures alternatives à la privation de liberté, aux cas de violences conjugales, a fortiori en cas d’emprise, et nous conduire à nous interroger collectivement sur des situations concrètes insupportables auxquelles sont confrontées les victimes et leurs familles.
Comment s’assurer que ces aménagements de peine ne soient pas prononcés lorsque la liberté surveillée expose les victimes ou leurs familles à de nouvelles violences ? Nos magistrats sont-ils suffisamment formés pour déceler les phénomènes d’emprise poussant certaines victimes à demander elles-mêmes la remise en liberté de leurs agresseurs ? Autant de questions sans réponses.
Si je comprends la démarche des juges d’application des peines qui prononcent ces aménagements, dont je n’ignore pas les raisons, je considère que le législateur ne peut pas rester sourd à la détresse des familles des victimes.
C’est la raison pour laquelle mon texte prévoit d’exclure des dispositifs d’aménagement des peines, notamment ab initio, les auteurs de violences conjugales afin de les maintenir à distance de leurs victimes.
Pour autant, j’ai bien entendu les réserves juridiques exprimées par nos collègues de la commission des lois et je suis sensible à leurs arguments.
Selon eux, l’article 1er aurait pour conséquences d’empêcher le prononcé de certaines mesures probatoires encadrant les sorties de détention, alors que celles-ci pourraient réduire le risque de récidive. Quant à l’article 2, les membres de la commission des lois ont estimé qu’il porterait atteinte au principe d’égalité devant la loi. Je peux l’entendre.
Mais, c’est aussi à la loi de mettre en place les moyens de sortir du cercle infernal des violences pour protéger les victimes. Actuellement, ce n'est pas le cas.
Je cite le rapport de la commission sur mon texte : « le champ d’application de ces dispositions apparait d’inégale gravité contrairement à celui des infractions terroristes dont les auteurs font l’objet d’un régime dérogatoire d’exécution des peines ».
Tout est question, en effet, d’appréciation de la gravité du champ d’application et même si je ne mets pas sur le même plan terrorisme et violences conjugales, l’ampleur de ce fléau dans notre pays me semble suffisamment vaste pour être considérée comme relevant d’une forte gravité.
Notre responsabilité face aux victimes est collective. Je vous en rappelle le contexte global en quelques chiffres. Ces dix dernières années, le bilan des violences au sein des couples en France est toujours aussi implacable.
Dans un rapport récent, la Délégation aux Droits des Femmes du Sénat rappelait qu’entre 2006 et 2016, ce sont 1 200 femmes qui sont mortes sous les coups de leur partenaire, ou ex partenaire intime, soit 1 meurtre sur 4 commis en France. Les violences au sein du couple restent donc un fléau, une réalité cruelle en dépit de la mobilisation des services publics et du renforcement du cadre législatif. Plus de 223 000 femmes sont encore victimes de violences conjugales chaque année.
Ce chantier devra être engagé dans le cadre de la loi Justice à venir que vous viendrez nous présenter dans les prochains mois, Mme la Ministre. Parmi les cinq axes de réforme annoncés, celui du sens et de l’efficacité des peines a retenu toute mon attention. C’est bien de ce dernier chantier dont relève ma proposition et elle y a toute sa place.
Elle pourrait peut-être également trouver un écho favorable dans le nouveau projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles qui sera prochainement soumis au Parlement.
A la veille d’une réforme judiciaire et d’une loi contre les violences sexistes et sexuelles, je comprends bien que le texte de ma proposition de loi ne satisfait pas les juristes les plus émérites de notre assemblée. Mais j’espère néanmoins que mes arguments vous auront convaincus de faire évoluer ces questions, mes chers collègues, dans le véhicule législatif qui conviendra et conformément à l’esprit de ma proposition de loi, c’est-à-dire, renforcer l’efficacité des peines alternatives, de façon la plus adaptée possible aux spécificités des actes de violences envers les femmes, dans les situations d’emprise conjugale.
D’expérience, je sais qu’il peut être nécessaire de déposer une proposition de loi pour soulever un débat de société et faire bouger les lignes."
- Communiqué de presse du groupe RDSE