La République à l'école

La République à l'école

Le 29 septembre, j'ai présidé le colloque organisé au Sénat sur le thème : "D'hier à demain, la République à l'école".

Inscrits dans la suite des travaux de la commission d'enquête dont j'ai conduit les travaux en 2015, sur le fonctionnement du service public de l'éducation, ces débats ont pris la forme de deux tables rondes.

- Programme et intervenants

- Voici le texte de mes interventions en introduction de chaque table-ronde :

1e table-ronde - la construction de l’école publique au XIXe et XXeme siècle

"Merci Emmanuel Laurentin et merci à vous tous ici présents cet après-midi pour participer à nos débats consacrés à un sujet ambitieux, La République à l’école : d’hier à demain, dont l’objectif est de cerner le rôle de l’enseignement dans la construction des élèves en tant que citoyens.

Nos échanges s’inscrivent dans le cadre de la 1ère édition de la Rencontre civisme et démocratie organisée par le Sénat et le jury du Prix du Sénat du livre d’Histoire (dont est membre le modérateur de nos échanges Emmanuel Laurentin) comme cela a déjà été dit.

La première partie est consacrée à la construction de l’école publique au XIXe et XXeme siècle avec l’évocation de la construction de l’enseignement pour tous depuis la IIIe République qui s’est incarnée dans une école laïque, gratuite et républicaine.

La seconde partie tentera d’apporter un début de réponse à l’interrogation suivante : quels enseignements aujourd’hui, pour quels citoyens demain ? Question plus prospective autour de notions comme l’adhésion aux valeurs de la République française, à ses symboles et à la citoyenneté.

Comment l’enseignement peut il encore participer d’une réelle transmission des valeurs républicaines et des valeurs de vivre ensemble à l’heure du numérique, d’internet, des nouvelles technologies de l’information, des réseaux sociaux, des jeux en ligne, de la mondialisation et hélàs du terrorisme.

M. Jean-Noël JEANNENEY, ancien Ministre, Président du Prix du Sénat du livre d'histoire, nous fera l’honneur de conclure nos travaux avec le talent de prospective qu’on lui connaît, avant la Remise du Prix 2016 du Sénat du Livre d’Histoire, attribué cette année à Jacques de SAINT-VICTOR pour son ouvrage "Blasphème. Brève histoire d’un « crime imaginaire »".

Si j’ai été sollicitée par les services du Sénat pour présider nos débats aujourd’hui, c’est parce qu’ils s’inscrivent dans la suite de cette commission d’enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation, (sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession) dont j’ai également présidé les travaux.

Ayant exercé pendant trente ans comme professeur des écoles et directrice d’école maternelle au sein de l’Education Nationale, j’ai accepté avec beaucoup d’intérêt cette responsabilité.

Tout naturellement, par intérêt personnel, je me suis aussi impliquée dans ces thématiques dans le cadre de mes mandats électifs et ma vie politique (engagée au Parti radical de Gauche depuis une vingtaine d’années), d’abord en tant qu’adjointe déléguée à la Culture de la ville de Blagnac, jusqu’en 2015, puis en tant que parlementaire, élue au Sénat depuis 2008, où je siège à la Commission Culture, Education et communication.

Pour moi, l’école avec un grand « E », est la colonne vertébrale de notre modèle républicain et sa première mission est de garantir l’égalité d’accès à un socle commun de connaissances pour nos enfants et citoyens en herbe.

A l’issue des travaux de notre commission d’enquête, en 2015, j’ai tenu à rappeler que dans la majorité de nos écoles tout va - encore – bien, heureusement ! L’'Éducation Nationale, institution républicaine présente sur l'ensemble du territoire, a pour mission de respecter les personnalités de chacun tout en veillant à combattre les inégalités, au-delà des difficultés spécifiques à chaque établissement et des disparités, elle doit aussi donner à chacun de ses acteurs, un certain nombre de réponses communes.

Dans le contexte actuel de fortes interrogations sur nos valeurs et de fortes inégalités sur ses bancs, notre école doit plus que jamais jouer le rôle de passeur des valeurs républicaines et former nos plus jeunes concitoyens, citoyens du monde de demain, à acquérir un socle commun de connaissances en premier lieu, mais aussi se former à l’esprit critique, au sens du vivre ensemble et du respect mutuel.

Plus que jamais elle le doit, c’est vrai.

Pour autant, l'école ne peut pas résoudre tous les problèmes de notre société, on ne peut pas tout lui demander.

Beaucoup a été fait par le gouvernement pour refonder l’école en lui octroyant davantage de moyens : d’abord, grâce au recrutement de 60 000 enseignants supplémentaires mais aussi en faisant évoluer le contenu des enseignements et enfin en reconstruisant la formation des enseignants. En 2012 a été instaurée une journée anniversaire de la laïcité chaque 9 décembre et désormais dans chaque établissement scolaire est affichée la charte de la laïcité, un outil simple pour rappeler le sens de ce principe au cœur de notre pacte républicain.

L’accent a donc été mis sur la transmission des valeurs républicaines avec la mise en œuvre de l’enseignement moral et civique, y compris dans la formation des enseignants.

A l’occasion de ces échanges, je ne peux pas faire abstraction de l’enquête du Cnesco parue ce lundi qui pointe l’aggravation des inégalités sur les bancs de l’école … elles sont malheureusement aussi le reflet des inégalités sociales. Notre responsabilité, celle des parlementaires et des professionnels, est de relancer l’ascenseur social notamment grâce à l’école.

Mais l’étude scientifique du cnesco n’est pas un couperet, elle ne dit rien de nouveau, la France a dégringolé dans les classements de l’OCDE depuis 15 ans, (effet délétère des politiques du gouvernement Sarkozy qui a détruit la formation des enseignants et baisser drastiquement les moyens et le nombre de postes)

Cette enquête doit nous aider au contraire à prendre les bonnes décisions pour combattre les inégalités à l’école, il sera question de ces problématiques dans la seconde table-ronde c’est certain.

Mais commençons par notre première table-ronde consacrée à la construction de l’école publique en France au XIX et XXe siècle en France, qui va traiter des grandes étapes historiques ayant fondé l’Ecole d’aujourd’hui. Cette tâche a été confiée à nos intervenants émérites. J’ai donc le plaisir d’accueillir et de remercier de leur présence avec nous, Antoine Prost, historien et professeur, spécialiste de l’histoire sociale du XXe siècle, ardent défenseur de la réforme du collège, Rémi Dalisson, professeur des universités notamment à l’ESPE de Rouen, spécialiste de l’histoire culturelle, en particulier celle des fêtes républicaines et des politiques symboliques, Jean-Paul Martin, Maître de conférences à l’Université de Lille III (A signé la tribune de Libé en soutien à JL Bianco en janvier 2016), qui travaille en particulier sur l’histoire de la laïcité en France, sous l’angle scolaire et associatif, ou encore sur les formations à l’éthique, à la religion et à la citoyenneté dans les systèmes scolaires publics. Enfin, Pierre KAHN, professeur des universités en sciences de l’éducation à l’ESPE de Caen, responsable du groupe d’experts chargé auprès du Conseil Supérieur des Programmes de concevoir les nouveaux programmes d’enseignement moral et civique.

En guise d’introduction, je remercie les élèves du collège Maria Callas de Courtry, une commune de Seine-et-Marne de 6 426 habitants, qui vont nous dire avec leurs mots comment ils voient l’école, dans le clip d’1 min 30 qu’ils ont réalisé pour l’occasion.

Sur ces bonnes paroles, je laisse maintenant la parole à Antoine Prost pour nous parler de la construction de l’école publique en France au XIXe et XXe siècle."

2nde Table-ronde - quels enseignements aujourd’hui, pour quels citoyens demain ?

"Après les débats fructueux sur l’histoire de la construction de l’école publique, obligatoire et laïque, notre seconde table-ronde aura une dimension plus prospective et avant de laisser la parole aux intervenants je voudrais, pour éclairer nos échanges, évoquer les travaux de la commission d’enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation, car comme je vous l’ai dit, c’est aussi pour cette raison que j’ai été invitée à présider nos échanges

Nos travaux se sont déroulés en 2015, sur une durée de 5 mois. Nous avons procédé à 44 auditions plénières, entendu une soixantaine de personnalités de tous horizons : enseignants, conseillers d’éducation, référents laïcité, philosophes, pédagogues et spécialistes des sciences de l’éducation, hauts-fonctionnaires, responsables syndicaux, responsables politiques et anciens ministres, journalistes, inspecteurs généraux, d’académie et de l’éducation nationale, chefs d’établissements, etc…

Nous avons effectué un tour de France des établissements scolaires du premier et second degré mais aussi de formation des enseignants. Nous avons rencontré sur le terrain les personnels éducatifs et académiques, par exemple dans les ESPÉ, à l’Ecole supérieure de l’Education Nationale de Poitiers, nous avons rencontré des Recteurs, des enseignants de tous niveaux, des parents d’élèves, des CPE, des élèves et des étudiants, soit en tout environ 170 personnes supplémentaires, autant dire que notre champs d’analyse était large.

Notre enquête avait pour but de pointer les difficultés rencontrées par les professionnels dans l’exercice de leurs métiers et surtout de contribuer à les résoudre.

La parole s'est libérée, sans tabou. Les faits relatés, les souffrances morales, la passion et les compétences se sont dévoilés.

Certaines préconisations formulées par la commission d’enquête, celles qui me tenaient le plus à cœur, ont été reprises à l’occasion de la rentrée scolaire de septembre 2015 et mises en œuvre depuis, je pense en particulier à la nécessaire priorité donnée à l’apprentissage du français, en particulier avec le plan d’action globale pour la maîtrise de la langue et je pense aussi à l’effort de formation des enseignants autour des valeurs de la République.

Parmi la vingtaine de propositions formulées pour consolider l'avenir dans le rapport, que vous pouvez aisément retrouver sur le site internet du Sénat, la principale à mes yeux est la nécessité d’apportée de toute urgence une aide aux équipes pédagogiques qui sont dans le plus grand désarroi.

J’ai pour ma part retenu 4 axes principaux sur lesquels l’école de demain doit reposer :

-          Le 1er axe est la maîtrise des fondamentaux et en particulier celle de la langue française. Un effort doit d’abord être fait en maternelle, les différences de vocabulaire, de nombre de mots utilisés et de compréhension sont les premières inégalités entre les enfants. Le CP est le deuxième lieu de tous les dangers et les moments d'apprentissage de la lecture devraient se faire en petit groupe. Comment parler de vivre ensemble, de valeurs partagées ou de laïcité avec un si petit bagage sémantique et syntaxique ?

-          Le 2eme axe est la nécessaire adhésion de tous aux valeurs de la citoyenneté, il était nécessaire de rappeler qu’une autre mission de l’école est de faire de nos enfants les citoyens émancipés de demain. L’enseignement de la morale civique a été mis en place pour y contribuer et réaffirmer les valeurs de la république à l’école. Les enseignants ont toute légitimité par leur statut de fonctionnaires d'État à assurer ce rôle de « passeurs de valeurs» auprès des élèves. L'enseignement moral et civique est l'occasion d’évoquer les évènements ayant eu lieu à l'école, dans le quartier, dans la ville ou dans le pays permettant ainsi une ouverture progressive à la compréhension de la société à laquelle appartiennent les élèves.

-          Le 3ème axe identifié dans nos travaux était de rebâtir la formation des enseignants, notamment à la transmission des valeurs, ce qui a été mis en place par le gouvernement avec les ESPE. L'autorité éducative n'est pas innée, elle s’apprend et doit être enseignée tout comme la connaissance des valeurs de la République, cette professionnalisation de la formation des enseignants ne peut que contribuer d’une part à la qualité de l’enseignement et d’autre part à la légitimité, au respect et donc à l’autorité morale de ces professionnels face aux élèves et à leurs familles. La recommandation concernant la formation à l'utilisation des réseaux sociaux et à leurs dangers, à l'interprétation de ce que livrent les médias me semble tout aussi incontournable.

-          Le 4ème axe est d’agir sur la circulation de l’information mais aussi sur la place de chacun au sein de l’école, dans une logique de partenariat pour une école plus ouverte sur son environnement, que ce soit dans la relation avec les parents ou leur implication ou encore avec le quartier, les acteurs de la ville afin, par exemple, d’améliorer le travail d’orientation et la connaissance des métiers, ou encore d’améliorer le système de remontée directe des incidents jusqu'au Ministère. Autre piste d’amélioration possible : il serait primordial d'avoir des définitions identiques des incidents avec des critères d'évaluation de leur gravité, et un signalement sans étape intermédiaire. Avec le problème de radicalisation des plus jeunes, c’est une urgence absolue.

La période que nous traversons, c’est une évidence, nous obligera à livrer de grandes batailles symboliques, et pas seulement je le crains, pour défendre notre modèle républicain et ses principes fondateurs : la laïcité, la liberté d’expression, l’égalité des droits, notamment entre les hommes et les femmes, et la liberté de conscience.

Je suis certaine que nos intervenants évoqueront l’ensemble de ces enjeux.

Je leur laisse donc la parole pour cette seconde table-ronde où il leur est demandé de mettre en perspective la question de l’avenir et de l’école comme fabrique des citoyens émancipés : quels citoyens de demain préparons-nous avec les enseignements d’aujourd’hui ? Comment l’école peut-t-elle transmettre, avec le socle commun de connaissances, les valeurs de la République ?

Pour répondre à ces questions je vais donner successivement la parole à Mme Béatrice MABILON-BONFILS, Professeur d’université en Sociologie, M. Jean-François SIRINELLI, Professeur d'histoire contemporaine à Sciences Po Paris , Mme Myriam MONY, consultante et formatrice en travail social et éducatif, et à M. Patrick KESSEL, président du Comité laïcité République.

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, les élèves du conseil municipal des jeunes de Canéjan, une commune de 5125 habitants de la Gironde, nous ont eux aussi préparés des propos introductifs. Regardons ensemble leur clip d’une minute 30

Béatrice MABILON-BONFILS, vous avez donc la parole pour nous parler des enseignements d’aujourd’hui et des citoyens de demain."