Budget 2018 et mission Média Livre et Industries culturelles
Je suis intervenue en Commission, au Sénat, en tant que rapporteure pour avis sur les crédits de la Mission « Médias, Livre et industries culturelles ».
Mon intervention du 15 novembre 2017 en commission :
Mme Françoise Laborde, rapporteure pour avis des crédits du programme « Livre et industries culturelles ». - Le programme 334 « livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » rassemble les crédits destinés, pour l'essentiel, au soutien public au livre et à la lecture mais également, pour 5,6 % seulement des montants inscrits, aux secteurs de la musique enregistrée et du jeu vidéo, ainsi qu'au fonctionnement de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet, la Hadopi.
En 2018, ce sont 262 millions d'euros en autorisations d'engagement et 271 millions d'euros en crédits de paiement qui bénéficieront au livre et aux industries culturelles, soit, à périmètre constant, en considérant les dispositifs d'éducation artistique et culturelle désormais imputés sur le programme 224 « transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la mission « Culture », une augmentation de 2 % en crédits de paiement.
Vous l'aurez compris, c'est au livre et à la promotion de la lecture que profite la quasi-totalité des crédits du programme (94,4 % précisément, soit 255,4 millions d'euros), raison pour laquelle j'y consacrerai l'essentiel de mon intervention.
Dans ce cadre, 215 millions d'euros correspondent à la subvention pour charge de service public de la Bibliothèque nationale de France (BnF) et de la Bibliothèque publique d'information (Bpi) attachée au Centre Pompidou. Je ne m'appesantirai pas sur la description d'une charge budgétaire destinée à financer des dépenses contraintes de fonctionnement de ces opérateurs. En revanche, il me semble utile, compte tenu des récents déboires rencontrés par la BnF, de vous dresser un rapide bilan des travaux financés par ces établissements sous forme de crédits d'investissement.
Le site Richelieu constitue le berceau historique de la BnF. Depuis la fin des années 1990, avec l'ouverture du site François Mitterrand, le bâtiment accueille les collections spécialisées de la bibliothèque, ainsi que l'Institut national d'histoire de l'art et l'École nationale des chartes. L'état dégradé des lieux nécessitait de lourds travaux, qui furent lancés en 2010 pour la première zone le long de la rue Richelieu. Alors que la première convention de mandat en date du 13 novembre 2006 faisait état d'un coût prévisionnel des travaux de 149,1 millions d'euros, l'avenant n° 10 conclu en juin dernier annonçait finalement un coût de 233,2 millions d'euros, dont 189,7 millions d'euros à la charge du ministère de la culture.
Bon an mal an, les travaux se sont terminés il y a quelques mois, permettant l'inauguration de la première zone le 11 janvier dernier par le Président de la République. Ce fut aussi long que coûteux, mais il semblerait que l'ensemble soit une réussite, notamment la salle de lecture Labrouste. Je crois, madame la présidente, qu'un déplacement de la commission sur place est prévu prochainement ?
Désormais, la seconde phase de travaux, qui devrait se clore en 2020, a débuté le long de la rue Vivienne au début de l'année 2017. 18 millions d'euros de crédits de paiement lui sont destinés dans le présent projet de budget, complétés par le recours aux fonds propres de la BnF et au mécénat pour l'aménagement de la salle Ovale, de la galerie Mansart et du salon Louis XV. Souhaitons à l'opérateur un chantier moins perturbé que lors de la première phase de travaux. Souhaitons-le également à la Bpi, qui débutera en 2019 un grand projet de rénovation destiné à dynamiser sa fréquentation et à améliorer la qualité des services proposés.
Bien que les crédits qui y sont consacrés n'appartiennent pas au programme 334, permettez-moi, pour clore le sujet des bibliothèques, d'évoquer les suites de l'excellent rapport de notre collègue Sylvie Robert sur l'aménagement des horaires d'ouverture au public.
La France dispose d'un réseau de plus de 16 000 bibliothèques et points d'accès au livre, qui couvre 77 % des communes de plus de 2 000 habitants et près de 90 % des habitants, soit une couverture du territoire très satisfaisante à l'échelle européenne. Pourtant, et même si 91 % des Français déclarent avoir déjà fréquenté une bibliothèque, le taux d'usagers réguliers ne dépasse pas 25 % et il s'effondre si on exclut du panel les jeunes en âge scolaire et les seniors. La faute en incombe en grande partie aux horaires d'ouverture très contraignants de ces établissements, notamment le soir et en fin de semaine. C'est dire combien l'adaptation et l'extension des horaires d'ouverture, proposées par notre collègue Sylvie Robert dans son rapport remis en août 2015, sont essentielles au développement de la lecture chez nos concitoyens.
Plusieurs collectivités se sont déjà engagées en ce sens une vingtaine en 2016 dont Brest, Caen, Le Havre et Paris et ont d'ores et déjà observé une augmentation significative de la fréquentation de leur(s) établissement(s). En application d'une circulaire interministérielle en date du 15 juin 2016, elles bénéficient d'une aide temporaire au fonctionnement prise sur les crédits de la dotation générale de décentralisation, laquelle, pour l'ensemble des bibliothèques, s'élève à 80,4 millions d'euros pour 2018. Ce montant n'a pas été relevé depuis la mise en place du dispositif, alors que notre collègue en estimait le coût à 5 millions d'euros, ce qui laisse à craindre un moindre financement d'autres projets de rénovation ou de construction.
Il est donc temps que la mission confiée conjointement à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et à l'Inspection générale de l'administration (IGA) sur le chiffrage de la mesure rende ses conclusions et que les conséquences budgétaires en soient tirées, sans quoi le risque que le financement d'une partie du dispositif repose sur les collectivités territoriales est plus que probable. La réflexion confiée à Erik Orsenna sur l'accès aux services offerts par les bibliothèques devrait également apporter des précisions utiles sur l'adéquation des moyens aux besoins.
Le soutien au livre et à la lecture dépasse bien sûr le cadre des bibliothèques. Avec un chiffre d'affaires de 2,8 milliards d'euros en 2016, le marché du livre, protégé depuis 1981 par le prix unique et un taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) réduit, demeure stable, malgré d'importants écarts selon les catégories d'ouvrages. À titre d'illustration, si la littérature génère encore plus de 20 % du chiffre d'affaires des éditeurs, son rendement continue à diminuer (- 3,9 % en 2016), tandis que l'édition scolaire, réforme du collège oblige, montre un fort dynamisme (+ 38,9 %). Le numérique, en augmentation constante mais raisonnée, représente désormais près de 9 % du marché. L'édition française est également foisonnante avec 390 nouveaux romans à l'automne 2017.
Nulle industrie ne peut se développer sans réseau de vente : c'est dire l'importance des 3 200 librairies indépendantes, qui réalisent 50 % des ventes d'ouvrages, tant pour les acteurs du livre que pour la vitalité des territoires. Il convient à cet égard de saluer la réussite du Plan Librairie, mis en oeuvre par le précédent gouvernement et doté de 8 millions d'euros destinés à soutenir le financement et la transmission de ces commerces, parmi les moins rentables des centres-villes. Pour autant, les chiffres médiocres du premier semestre 2017, qui affichent un recul de 9 % des achats en librairie, laissent encore craindre une détérioration de ce marché.
Plus que jamais, les dispositifs de soutien aux libraires, aux éditeurs et aux auteurs doivent donc être sanctuarisés. Gérés par le Centre national du livre (CNL), ils sont toutefois dépendants des recettes de l'opérateur. Or, depuis plusieurs années, le rendement décevant des taxes qui lui sont affectées, respectivement sur le chiffre d'affaires des éditeurs et sur les ventes de matériels d'impression et de reproduction, ne permet pas au CNL d'atteindre le plafond de recettes de 34,7 millions d'euros fixé en loi de finances et l'oblige à renforcer la sélectivité de ses interventions. Si l'IGAC et le Conseil d'État ont été chargés de définir un nouveau modèle de financement pour l'opérateur, il se fait toujours attendre, ce que je déplore.
Je ne développerai pas plus avant les dispositifs d'aide à la musique enregistrée et au jeu vidéo, qui bénéficient, crédits d'impôts mis à part, de 15,1 millions d'euros en 2018 sous forme de dispositifs de soutien de projets sur sélection. Grâce au digital et au développement des pratiques de streaming, l'industrie musicale semble enfin sortie du marasme, sans toutefois avoir réussi à vaincre le fléau du piratage. Je vous en reparlerai dans un instant. Quant au jeu vidéo, la qualité et la diversité de l'industrie française, aidée par un dispositif fiscal attractif, sont mondialement reconnues malgré une concurrence internationale féroce.
Un développement en revanche sur le cinéma, qui auparavant était traité par notre collègue David Assouline dans le cadre de son avis relatif à la création : le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) étant évoqué parmi les opérateurs du programme 334, il a finalement été décidé de rattacher le cinéma au présent avis, même si, vous le savez, cette industrie ne bénéficie d'aucun crédit en projet de loi de finances.
Les taxes affectées au CNC devraient, en 2018, se stabiliser à 673,5 millions d'euros auxquels s'ajouteront 42 millions d'euros mobilisés sur la réserve de solidarité pluriannuelle, soit 724 millions d'euros au bénéfice du cinéma. C'est 2,4 % de plus qu'en 2017.
Rien d'étonnant à ce que la production française, irriguée par différentes aides et de généreux crédits d'impôt, affiche une santé éclatante : en 2016, ce sont 221 films d'initiative française qui ont été aidés pour un devis médian de 2,8 millions d'euros, contribuant ainsi à une diversité artistique et culturelle remarquable.
La réforme du crédit d'impôt cinéma intervenue en loi de finances pour 2016 a d'ores et déjà produit sur l'emploi des résultats supérieurs aux prévisions les plus optimistes grâce à la relocalisation sur le territoire français de l'équivalent de 600 jours de tournage. Le CNC estime à 210 millions d'euros les dépenses ainsi relocalisées, correspondant à la création de 15 000 emplois intermittents.
La perfection serait de ce monde en matière de soutien public à une industrie culturelle si n'était intervenue, le 27 octobre dernier, une décision du Conseil constitutionnel remettant en cause les fondements juridiques de la taxe sur les éditeurs (298,5 millions d'euros de recettes en 2018 pour le CNC tout de même). Dans sa grande sagesse, le juge constitutionnel a donné jusqu'au 1er juillet 2018 au législateur pour sécuriser le dispositif et a exclu le remboursement aux éditeurs des sommes ainsi perçues. Un chantier urgent nous attend donc.
Par ailleurs, si les entrées en salles caracolent encore, en 2016, à 213 millions, plaçant la France au premier rang européen, ce résultat, manifestement excellent, ne doit pas faire oublier que la part des films français ne dépasse pas 36 % des entrées et, qu'aux côtés des grands succès populaires comme Les Tuche 2, près de la moitié des films français ne réunit pas plus de 20 000 spectateurs. Ce constat mitigé est transposable à l'exportation, dont les résultats, décevants en 2016 (- 9,6 % de chiffre d'affaires) malgré un renforcement de l'aide qui y est dédiée, dépendent grandement de la présence d'un film « locomotive ».
Ma présentation ne serait pas complète sans l'évocation des 9 millions d'euros de subvention à la Hadopi. Stable, cette enveloppe permettra à l'opérateur de poursuivre sa mission de lutte contre le piratage et de promotion de l'offre légale. Après les déboires budgétaires de l'institution, nous pouvons nous en réjouir. Il n'empêche : la lutte contre le piratage doit s'exercer au plus près des nouvelles pratiques. Que dire dès lors d'un opérateur dont la mission se limite au téléchargement « pair à pair », peu en vogue aujourd'hui, sans traiter les ravages du streaming ? La Hadopi elle-même, consciente de ce décalage, a commandé une étude sur les évolutions envisageables de la riposte graduée. Il serait à cet égard intéressant, pour prolonger notre réflexion à la suite des travaux de nos anciens collègues Corinne Bouchoux et Loïc Hervé en 2015, d'entendre son président quand les conclusions en seront connues.
Enfin, il conviendra de demeurer attentifs, dans les prochaines semaines, à l'aboutissement de l'examen, par le Parlement européen, de la réforme du droit d'auteur et notamment aux mesures qui seront proposées en terme de lutte contre le piratage et au profit du maintien du dispositif français d'exploitation des livres indisponibles ReLire, jugé aujourd'hui contraire au droit européen.
Pour conclure, je propose, d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 334 « livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles », tels que prévus par le présent projet de loi de finances pour 2018.