Débat sur l'avenir de l'aviation civile
Françoise Laborde intervient dans le débat sur les perspectives de l'aviation civile à l'horizon 2040, à la tribune du Sénat, le 4 décembre 2013.
Elle dresse les pistes pour préserver l'avance de la France et de l'Europe et rend hommage à la dynamique de cette filière, notamment en Midi-Pyrénées.
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" Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,
En cinquante ans nous avons eu la chance de vivre une accélération des échanges de biens et services et un développement rapide du tourisme sous l’impulsion des progrès réalisés par l’aviation civile.
Cette dernière a joué, et continue de jouer, un rôle essentiel pour la croissance et l’ouverture des États sur le monde en estompant les contraintes de distance et de temps.
Si le secteur aéronautique sait faire preuve de son savoir-faire en concevant sans cesse des avancées scientifiques et technologiques, les nombreux défis auxquels il devra faire face, risquent de faire chanceler une économie internationale fortement dépendante de sa réussite.
Avec le secteur spatial, l’aviation demeure l’un des secteurs industriels français parmi les plus dynamiques qui font la fierté de notre pays et constitue l’un des piliers de l’industrie française: 330 000 emplois directs, un million d’emplois au total, soixante-quinze milliards d’euros de chiffre d’affaires et 4 % du produit intérieur brut.
L’Histoire de l’aéronautique est également indissociable de l’Europe qui démontre, encore une fois, la capacité dont disposent les États pour coopérer et dépasser les clivages dans l’intérêt de tous.
Constructeurs, équipementiers, motoristes associent leur savoir-faire pour conserver l’avance de l’Europe en matière aéronautique.
Les commandes d’avions s’enchaînent sans que l’on parvienne à répondre à la demande. Des nombreux emplois sont encore créés en dépit de la crise. J’ouvre d’ailleurs une parenthèse, pour souligner la nécessité de mettre en avant, auprès de nos jeunes, les formations offertes par cette filière car elles sont de très grande qualité, je pense notamment à l’École Nationale de l’Aviation Civile, l’ENAC, que nous avons l’honneur d’accueillir à Toulouse.
L’aviation civile est un secteur stratégique qui mérite qu’on lui accorde plus d’attention et qui ne doit pas être négligé (passer au second plan) sous prétexte de ses bonnes performances actuelles car son avenir dépend de la réponse qui sera donnée aux défis évoqués par notre collègue Roland COURTEAU dans son excellent rapport. Il nous faut absolument anticiper ces orientations.
Avec un doublement du trafic d’ici 2040 ou 2050, la gestion de la navigation aérienne, mais aussi la capacité d’accueil des aéroports, devront être adaptées. Or, les décisions d’investissement doivent être prises rapidement car ces adaptations seront lourdes.
La hausse du trafic mondial est rapide : + 5,9 % pour 2014 et 6,3 % pour l’année suivante, selon l’étude publiée en juillet dernier par l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale, l’OACI. Elle est tirée vers le haut par une demande croissante de la part des pays du Moyen-Orient, de l’Amérique latine et de l’Asie.
L’Union Européenne, se saisissant rapidement de cette problématique, a décidé de lancer le programme SESAR, en phase de développement, qui apportera une meilleure sécurité dans le partage du ciel avec une modélisation en 4D et surtout une harmonisation de la gestion de la navigation aérienne en Europe.
Comme le souligne le rapport, les compagnies aériennes devront consentir des efforts en vue d’équiper leur flotte, de l’ordre de 23 milliards d’euros, alors qu’elles sont en difficulté.
L’arrivée des drones civils dans l’espace aérien doit être préparée, puisque certaines entreprises s’y intéressent à des fins commerciales, comme a pu le déclarer récemment le PDG d’un grand groupe qui souhaiterait effectuer des livraisons par ce moyen.
En outre, des efforts de financement devront être également consentis en matière d’énergie puisque la question du carburant dans le secteur aéronautique est vitale.
Alors que le prix du carburant représente presque un tiers de la charge d’exploitation aérienne, l’envolée du prix du baril, à terme, doit être pleinement intégrée dans les travaux de prospective.
En effet, si les aéronefs gagnent en efficacité énergétique, puisque celle-ci a été multipliée par deux depuis 1970, la raréfaction du pétrole risque de freiner le dynamisme du transport aérien.
Le rapport offre, ainsi, un état des lieux intéressant des différentes filières de biocarburants, très prometteuses, comme les microalgues. Cependant, les coûts de production impliqueront un soutien indispensable des pouvoirs publics et une intégration progressive du biokérozène.
Toutefois, nous regrettons que d’autres énergies, telles que l’hydrogène, aient été écartées des travaux de l’OPECST. Pourtant, les scientifiques démontrent que des recherches en ce sens ne sont pas inutiles. Le transport de l’hydrogène à l’état gazeux étant dangereux, les chimistes travaillent actuellement pour qu’il puisse être réalisé à l’état solide.
Ces énergies alternatives participeront aux objectifs de l’Union Européenne en matière de transport aérien qui visent à réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 et de 80 % les émissions d’oxydes d’azote. En effet, les évolutions en matière d’aérodynamisme, de composants ou de motorisation ne seront pas suffisantes pour y parvenir.
L’envolée du prix du baril pèsera avant tout sur la situation économique des compagnies aériennes. C’est d’autant plus inquiétant que les compagnies européennes peinent à concurrencer les compagnies du Golfe et les compagnies asiatiques pour les longs courriers. D’un côté, Emirates, nommée meilleure compagnie de l’année, ne cesse de créer de nouvelles routes aériennes et d’agrandir sa flotte, et de l’autre, le Plan Transform 2015 d’Air France ralentit les investissements.
La compagnie française pâtit d’une absence d’égalité des armes face à la concurrence de certaines compagnies low-cost qui appliquent un dumping social et fiscal mais aussi face à la moindre règlementation mise en œuvre dans certains pays.
L’évolution de l’aviation civile doit également être appréhendée en prenant en compte les autres modes de transports que la France, mais aussi l’Europe prétendent développer, comme le mode ferroviaire. L’aviation civile subira sans aucun doute la concurrence de la grande vitesse ferroviaire avec l’avènement de l’Europe du rail. Il convient alors, comme cela été souligné, de créer des conditions favorables à l’inter modalité entre ces deux modes de transport complémentaires en modernisant les aéroports et les connexions.
C’est une condition nécessaire si l’on raisonne en termes d’aménagement du territoire.
Avec tous ces défis à relever, ces investissements lourds à réaliser, nous joignons nos inquiétudes à celles exprimées par le rapporteur sur l’érosion du financement de la recherche à long terme, pourtant le seul moyen de fixer des orientations claires et durables.
Les plans d’investissements d’avenir, s’ils sont bienvenus, ne garantissent aucune visibilité aux industriels. D’ailleurs, les crédits accordés à l’aéronautique et à l’industrie spatiale lors du dernier plan, d’un montant de 1,3 milliards d’euros, ne sont pas à la hauteur des enjeux.
De même, nous ne pouvons qu’exprimer notre perplexité quant aux cessions de capital de l’État au sein d’EADS ou encore d’Aéroports de Paris alors qu’une stratégie digne de ce nom commanderait de conserver un poids suffisant au sein de cette industrie de pointe, qui sans ce rôle de stratège pourrait mettre à mal ce que le rapport Gallois a qualifié d’avantage décisif dans la compétition internationale.
Compte tenu de ces considérations et de la valeur ajoutée de l’aviation civile dans notre économie, nous souhaiterions connaître les orientations du gouvernement en vue d’assurer un financement pérenne d’une filière d’excellence confrontée à de profondes mutations."