Autorité judiciaire et protection des mineurs

Autorité judiciaire et protection des mineurs

Je suis intervenue le 6 avril 2016 dans la discussion des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs.

Texte de mon intervention au nom du groupe RDSE :

 

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs, texte sur lequel Sénat et Assemblée nationale ont trouvé un compromis.

Ce texte autorise la transmission d’informations – il la rend même obligatoire dans certains cas – entre la justice et l’administration employant des personnes en contact avec des mineurs et mises en cause pour des infractions, notamment à caractère sexuel.

Si les députés sont revenus sur leur intention initiale d’autoriser la transmission d’informations dès la garde à vue ou l’audition libre, les sénateurs membres de la commission mixte paritaire ont, de leur côté, entériné le principe de cette transmission lors d’une procédure en cours, au stade de la mise en examen, par exemple, et donc avant toute condamnation, ce que, pour notre part, nous déplorons.

La peine complémentaire d’interdiction d’exercer un travail impliquant un contact avec des mineurs à la suite d’une condamnation ou d’un placement sous contrôle judiciaire, introduite par la majorité sénatoriale, a finalement été abandonnée. C’est une légère amélioration, dans la mesure où il revient au juge, et non au législateur, de décider d’une telle peine complémentaire.

Toutefois, les progrès constatés dans la rédaction du texte ne font pas changer la position de mon groupe sur l’essentiel. En première lecture, mes collègues Jacques Mézard et Pierre-Yves Collombat ont exprimé de sérieuses inquiétudes face aux risques de dérive que le texte fait peser sur la présomption d’innocence. Ce principe – faut-il le rappeler ? – a valeur constitutionnelle.

Aux termes de l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme énonce, quant à lui, que « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Or la rédaction finale du projet de loi prévoit que l’information soit transmise avant toute condamnation définitive. Cela revient d’une manière ou d’une autre à jeter le soupçon sur une personne dont la culpabilité n’a pas été clairement établie et, dans le cas d’infractions sexuelles en lien avec des mineurs, à bafouer son honneur, à briser sa carrière, sa vie et celle de son entourage.

En première lecture, nous avions proposé une réécriture de l’article 1er, qui prévoyait la transmission systématique d’informations en cas de condamnation définitive, ni plus ni moins. Cette rédaction aurait permis l’élaboration d’un texte plus équilibré et plus conforme au principe de la présomption d’innocence. L’autorité judiciaire doit en effet être protégée de la pression des médias et de l’opinion, qui demandent des jugements immédiats et font peu de cas des droits de la défense.

L’affaire de Villefontaine, qui est à l’origine de ce projet de loi, a connu avant-hier un rebondissement tragique. Il en ressort que la priorité doit consister aujourd’hui à mieux organiser la circulation de l’information entre les administrations et à obliger l’éducation nationale à mieux vérifier les antécédents judiciaires des agents qu’elle nomme à des postes où ils sont en contact avec des mineurs. Ainsi, l’ancien directeur d’école de Villefontaine avait déjà été condamné sept ans auparavant pour des faits qui auraient dû alerter sa hiérarchie.

Mes chers collègues, veuillez m’excuser de le dire ainsi, mais, au fond, chaque affaire est unique. D’autres affaires mettent en cause des adultes à tort. Souvenons-nous de l’affaire Bernard Hanse en 1997 : un professeur de gymnastique, accusé à tort d’attouchements par l’un de ses élèves, avait tragiquement mis fin à ses jours.

Pour conclure, j’indique que les membres du RDSE restent sur la position qu’ils avaient adoptée en première lecture, fidèles en cela à leur tradition de défense des libertés publiques et individuelles. Ce n’est pas parce qu’il y a des failles dans l’administration qu’il est légitime de déposer un texte attentatoire à la présomption d’innocence. À cet égard, je salue les circulaires prises par Mme la ministre de l’éducation nationale, car elles devraient apporter des améliorations concrètes. Si des faits graves survenaient, l’autorité judiciaire dispose déjà d’une panoplie de mesures adaptées, comme le contrôle judiciaire ou la comparution immédiate, et je dis bien « immédiate » !

Attachés comme chacun ici à la protection des enfants, nous veillons aussi au respect des principes fondamentaux et à la qualité de la loi. En l’occurrence, le principe qui doit nous guider est celui de la présomption d’innocence, alors que les malheurs sont multiples : malheur des enfants victimes ou malheur des adultes mis en cause. C’est la raison pour laquelle, comme en première lecture, les membres du RDSE n’approuveront pas le texte. Certains voteront contre les conclusions élaborées par la commission mixte paritaire, quand d’autres, la majorité, s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)