Protéger les victimes de violences conjugales
Mon intervention à la tribune du Sénat dans la Discussion générale de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales :
câler le compteur à 01h00m30
La loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein des couples a marqué une prise de conscience à la fois sociale, judiciaire et législative, de l’urgence de briser le tabou des violences conjugales et d’y remédier par des dispositions fortes.
La loi du 9 juillet 2010, relative aux violences faites aux femmes au sein des couples et à leur incidence sur les enfants, a renforcé l’arsenal juridique pour la prise en charge des victimes, supprimant la présomption de consentement et instaurant l’ODP - ordonnance de protection des victimes.
Un pan entier de la loi du 4 aout 2014 pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes aggrave les sanctions et améliore l’accompagnement des victimes à long terme : durée de l’ODP portée de 4 à 6 mois, maintien de la victime dans le logement du couple, meilleure protection des enfants, extension du champ d’application de l’ODP aux violences sur les enfants, possibilité de retrait total ou partiel de l’autorité parentale, restriction du recours à la médiation pénale, déploiement du téléphone d’alerte grave danger, dispositif qui a été très utile durant le confinement, avec une forte augmentation du nombre d’attribution. Comme le disait récemment Ernestine Ronai, je cite : « lorsqu’il existe une politique publique volontariste et claire, on obtient des résultats ».
Plus récemment, nous avons examiné la loi d’août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et, en novembre 2019, la loi dite Pradié, visant à agir contre les violences au sein de la famille, adoptée à l’issue du Grenelle contre les violences faites aux femmes.
Même si je déplore le calendrier choisi pour examiner, dans l’urgence, cette proposition de loi, nous devons en apprécier les nouvelles avancées. Certaines avaient déjà été proposées au vote du Sénat, sous forme d’amendements, lors de l’examen de la loi Pradié.
J’avais moi-même déposé des amendements pour restreindre l’autorité parentale ou empêcher le recours à la médiation pénale, en cas de violences conjugales, conformément aux indications des juges et des pédopsychiatres auditionnés par la Délégation aux droits des femmes. Ils nous exhortent, sans relâche, à privilégier l’intérêt de l’enfant. Grâce à eux, nous le savons maintenant : un conjoint violent ne peut pas être un bon parent. Le maintien, à tout prix, de l’autorité parentale, du droit de visite ou de garde du parent violent conjugal est dénoncé, unanimement, car ce sont autant d’occasions de perpétuer l’emprise sur la victime et sur l’enfant, autant de risques majeurs de sur-violences, en particulier pendant les périodes de séparation et j’ajouterais aussi en période de confinement.
Il n’est pas concevable qu’un parent ayant tué ou violenté son conjoint puisse continuer à exercer son autorité parentale. L’enfant, pour se construire, a d’abord besoin de sécurité affective et matérielle. S’il est pris dans un conflit de loyauté ou de protection, il ne peut pas le faire. Cette vérité doit franchir les portes des tribunaux, devenir une évidence judiciaire sur tout le territoire et dans toutes les juridictions.
C’est pourquoi, je salue les articles 1 et 2, satisfaits par la loi Pradié, tout comme l’article 3 suspendant le droit de visite et d’hébergement ou, encore, les articles 4 et 5 interdisant la médiation pénale, en cas de violences conjugales. La reconnaissance de l’emprise comme violence psychologique sera aussi un changement de paradigme déterminant pour toutes les victimes.
Enfin, l’article 6 décharge les enfants d’un parent condamné pour violences conjugales de l’obligation alimentaire envers celui-ci.
L’article 8, autre pilier du texte, permettra aux médecins de signaler aux autorités judiciaires des violences exercées au sein du couple, c’est aussi une recommandation que notre Délégation au Sénat martèle depuis longtemps.
Avant de terminer, j’évoquerais les conséquences du récent confinement sanitaire. Il nous permet de nous rendre compte que ce « huis clos » de violences n’est autre que la terrible réalité que vivent tous les jours, crise sanitaire ou pas, toutes les victimes de violences. Je voudrais citer les propos d’une victime que Luc Frémiot, ancien procureur de la République, nous a rapportés lors de son audition par la Délégation aux droits des femmes, il y a quelques jours : « Mon mari et moi habitons au quinzième étage d’une tour. Il a calculé qu’il me fallait trois minutes pour descendre lorsque l’ascenseur fonctionne, six ou sept minutes quand je dois descendre à pied, tant de minutes pour aller au petit supermarché du coin, tant de minutes pour faire les courses, tant de minutes pour revenir. Quand je suis en retard d’une minute, je suis frappée. »
Non, cela n’arrive pas qu’aux autres. Nous devons tous être des lanceurs d’alerte.
Dès le mois de mars, beaucoup a été fait pour mobiliser la population et protéger les victimes, à l’image de notre Délégation qui a publié une tribune dans la presse alertant l’opinion sur l’enfer vécu par les femmes et les enfants enfermés avec un compagnon et un père violent. De nombreux acteurs se sont mobilisés, en première ligne, pour assurer une vigilance accrue et je voudrais leur rendre hommage : réseau associatif, personnels de police et de gendarmerie, magistrats, médecins, pharmaciens, enseignants et d’autres encore.
Des expérimentations ont été multipliées et il faudra les pérenniser, comme l’envoi de SMS d’alerte au 114, l’éloignement des conjoints violents du domicile conjugal vers des chambres d’hôtel ou encore des campagnes d’affichage des numéros d’urgence.
Je regrette que certains points soient absents de ce texte, comme par exemple, la lutte contre les violences incestueuses, les plus difficiles à concevoir et à nommer, jusque dans le code pénal. Or, il ressort de nos auditions qu’une fille court 6,5 fois plus de risques qu’une autre d’être victime de violences sexuelles incestueuses si elle a un parent violent conjugal. J’avais déposé, sans succès, des amendements pour renforcer la qualification pénale des actes incestueux sur mineurs. Il est urgent de briser ce tabou là aussi.
Il serait souhaitable de prévoir une prise en charge psychologique très large des enfants témoins de violences conjugales, y compris les plus âgés et ceux issus de familles recomposées, souvent les grands oubliés, laissés sans repère pour se reconstruire, ce qui peut les conduire vers une profonde dépression.
Enfin, avec mes collègues du groupe RDSE, nous serons vigilants sur la création du nouveau « comité de pilotage national » annoncée par Mme la Garde des Sceaux pour améliorer la mise en oeuvre des Ordonnances de protection. Pour autant, j’aimerai une explication après la publication du décret du 27 mai dernier qui précise les modalités d’application de la loi Pradié mais impose un délai de 24h à la victime pour informer son conjoint violent par huissier et retourner l’acte de signification au tribunal. Si ce délai n’était pas respecté, le risque serait fort que la requête devienne caduque. Il me semble que ce n’est pas le but des ODP bien au contraire.
Si les statistiques des violences conjugales restent cruelles, aujourd’hui le tabou est bel et bien brisé et nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à considérer la question de la lutte contre les violences envers les femmes comme un fil rouge de notre mandat de parlementaire.
Considérant que cette proposition de loi participera à ce que la peur change de camp et contribuera à une meilleure protection des victimes de violences conjugales et de leurs enfants, mon groupe votera en faveur de ce texte."