Ce thème s'est imposé à nous suite à des alertes individuelles et de réseaux associatifs, faisant état de nombreux témoignages démontrant une exposition particulièrement marquée des femmes en situation de handicap aux violences, aussi bien dans le cercle familial que dans les institutions spécialisées.
Ces violences faites aux femmes et handicap sont liées : « Si le handicap accroît le risque de violence, les violences accroissent également le handicap », comme l'a souligné la présidente de l'Association francophone de femmes autistes.
Comment mieux protéger les femmes handicapées contre les violences et leur offrir un accueil et une prise en charge adaptés ? Comment, face aux nombreuses discriminations qui compliquent leurs parcours professionnels, renforcer leur autonomie, gage de protection contre les violences ?
Telles sont les questions abordées par le rapport de la Délégation aux Droits des Femmes, assorti de quatorze recommandations axées sur :
- une meilleure connaissance du phénomène par des études et des statistiques régulièrement actualisées ;
- l'intensification de la formation et de la sensibilisation de tous les acteurs, professionnels et bénévoles ;
- le renforcement de l'autonomie professionnelle et financière des femmes en situation de handicap ;
- et la nécessité d'efforts concrets en termes d'accès aux soins, notamment gynécologiques, et d'accessibilité de la chaîne judiciaire ainsi que des lieux d'hébergement d'urgence.
Extraits :
« L’accès aux droits est un aspect clé de la lutte contre les violences faites aux femmes handicapées. Il tient aussi bien à l’accessibilité des différentes structures d’accueil des femmes victimes de violences qu’à la prise en charge de ces victimes par les forces de police et de justice. Or, en la matière, d’énormes progrès restent à faire. »
« Si les démarches pour se rendre au commissariat et porter plainte sont éprouvantes pour les femmes victimes de violences, elles peuvent être insurmontables pour les femmes en situation de handicap. Le manque de formation des professionnels et l’inadaptation des procédures aux formes de handicap de certaines victimes sont des facteurs de blocage encore plus forts pour les femmes handicapées. » F. Laborde
Les principales recommandations de la Délégation aux Droits des Femmes :
- nécessité d’intégrer de façon systématique la dimension femmes-hommes dans les politiques du handicap; inversement, elle préconise de renforcer l’approche transversale du handicap dans toutes les politiques d’égalité femmes-hommes.
- Elle appelle donc à un renforcement de la coordination entre l’État, les associations spécialisées dans la prise en charge des femmes victimes de violences et celles qui œuvrent dans le domaine du handicap.
- La délégation rappelle que la formation de tous les professionnels et bénévoles susceptibles d’être en contact avec des personnes en situation de handicap victimes de violences est indispensable pour favoriser la libération de la parole et garantir une prise en charge adaptée de ces personnes, plus particulièrement aux niveaux médical et judiciaire.
Objectifs :
- favoriser l’autonomie des femmes en situation de handicap ;
- améliorer leur accès aux soins ;
- renforcer la formation et la sensibilisation de tous aux violences qui menacent particulièrement les femmes handicapées ;
- reconnaître les femmes en situation de handicap comme des « sujets de droits » et des citoyennes à part entière; - pour faire progresser la sécurité des femmes handicapées ;
- donner aux associations les moyens de mieux les accompagner.
Constat :
La délégation exprime sa profonde considération à tous les acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes handicapées, dont elle salue l’engagement et l’implication. Elle souhaite rendre un nouvel hommage à mon amie Maudy Piot, fondatrice de Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, inlassable avocate des droits et de la citoyenneté des femmes handicapées, disparue en 2017, et encourager l’équipe qui lui a succédé à poursuivre son combat. La délégation rappelle que les associations sont le véritable « bras armé » de la lutte contre les violences faites aux femmes : ce constat vaut pour les associations accueillant et accompagnant les femmes handicapées, doublement exposées au risque de violences. Elle estime que la stagnation de leurs moyens ne leur permet pas de remplir leurs missions face à des besoins accrus dans le contexte de la libération de la parole. Elle souligne donc une fois de plus l’importance cruciale des moyens qui doivent leur être attribués et de la prévisibilité des subventions, indispensables pour leur permettre de remplir leurs missions dans les meilleures conditions possibles, a fortiori compte tenu des besoins accrus liés à la libération de la parole.
La délégation exprime sa vive émotion que des femmes handicapées aient pu subir à leur insu des interventions de stérilisation, dans des institutions de notre pays. Elle espère que ces pratiques sont aujourd’hui révolues et qu’aucune adolescente, aucune femme en situation de handicap ne fait l’objet aujourd’hui de telles interventions dans des conditions contraires à la loi.
La délégation n’accepte pas que des enfants, des adolescentes et des femmes soient les victimes de prédateurs sexuels en raison de leur handicap, que ces violences soient subies dans des institutions ou qu’elles aient lieu dans leur domicile.
La délégation salue la prise en compte du handicap dans les quatrième et cinquième plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes : elle estime que cette dynamique doit être amplifiée dans les plans à venir. Elle appelle le Gouvernement et les acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes à inscrire le handicap parmi les priorités du « Grenelle contre les violences conjugales » qui s’est ouvert le mardi 3 septembre 2019 et se conclura le 25 novembre 2019, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
La délégation a constaté la nécessité d’intégrer de façon systématique la dimension femmes-hommes dans les politiques du handicap ; inversement, elle préconise de renforcer l’approche transversale du handicap dans toutes les politiques d’égalité femmes-hommes. Elle estime aussi que la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes handicapées exigent davantage de transversalité et moins de cloisonnement entre les divers acteurs.
1.POUR MIEUX CONNAÎTRE LE PHÉNOMÈNE DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES HANDICAPÉES
Recommandation n° 1. La délégation préconise l’établissement de statistiques précises afin d’améliorer la connaissance des discriminations et des violences faites aux femmes handicapées : - en incluant des questions spécifiques concernant les femmes en situation de handicap dans les enquêtes nationales sur les violences faites aux femmes telle que l’étude Violences et rapports de genre(Virage), y compris dans sa déclinaison ultramarine ; - et en actualisant régulièrement les études existantes, à commencer par l’étude Handicap Santé.
Recommandation n° 2. La délégation juge souhaitable de mieux documenter, dans la perspective de l’établissement de statistiques solides destinées à renforcer la prévention et l’accompagnement des personnes handicapées, le lien de causalité entre les violences subies et un handicap physique ou un grave traumatisme psychologique. Elle recommande donc que les personnes accueillant des femmes victimes de violences – professionnels de santé, services d’urgence hospitalière, écoutants répondant aux « numéros verts », etc. – posent de manière systématique des questions permettant d’identifier un lien entre les violences dénoncées et un handicap physique, mental ou psychologique.
2.POUR FAVORISER L’AUTONOMIE DES FEMMES EN SITUATION DE HANDICAP
Recommandation n° 3. Convaincue que l’insertion professionnelle des femmes en situation de handicap et leur autonomie financièresont des prérequis pour les protéger des violences, la délégation considère que le critère de l’égalité femmes-hommes devrait être mieux pris en compte dans les politiques visant à favoriser l’emploi et la formation des personnes en situation de handicap.Elle préconise par ailleurs la mise en place de mesures concrètes pour rendre effectifs les aménagements de poste dans l’emploi et pour développer l’accessibilité des établissements de formation, des entreprises et des administrations.
Recommandation n° 4. La délégation est favorable à la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’Allocation aux adultes handicapés(AAH), afin de renforcer l’autonomie financière des femmes en situation de handicap et de les préserver d’une dépendance potentiellement dangereuse dans les situa
tions de violences au sein du couple.
3.POUR AMÉLIORER LEUR ACCÈS AUX SOINS
Recommandation n° 5. La délégation estime que l’information des adolescentes et des femmes handicapées sur la contraception et leur éducation à la sexualités’inscrit dans la prévention des violences, plus particulièrement sexuelles, auxquelles elles sont malheureusement exposées.
La délégation est également convaincue que cette information doit s’étendre à la prévention des maladies sexuellement transmissibles. La délégation est d’avis que la prescription de traitements anticonceptionnels à des adolescentes et à des femmes en situation de handicap ne doit être motivée que par des préoccupations relatives à la santé, à l’épanouissement et à l’autonomie des intéressées.
Recommandation n° 6. La délégation juge indispensable que le suivi gynécologique des femmes et des adolescentes en situation de handicap soit régulier, a fortiori dans le cadre d’un traitement contraceptif, qu’elles résident ou non dans des institutions, et que lematériel médical permettant la prévention des cancers gynécologiques soit adapté à leurs besoins. À cet égard, la délégation demande de favoriser l’adaptation des équipements de dépistage du cancer du sein aux patientes handicapées.
4.POUR RENFORCER LA FORMATION ET LA SENSIBILISATION DE TOUS AUX VIOLENCES QUI MENACENT LES FEMMES EN SITUATION DE HANDICAP
Recommandation n° 7. La délégation demande que l’effort de formation des professionnels à la spécificité des violences sexuelles commises contre les femmes en situation de handicap soit étendu à tous les intervenants potentiels : l’ensemble des soignants, les écoutants des plateformes téléphoniques comme le 3919 ou le 119, et tous les professionnels et bénévoles susceptibles d’entrer en contacts avec des personnes handicapées, y compris les personnels de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et des cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Elle préconise de renforcer la formation et la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire, premiers interlocuteurs de toute victime qui de violence qui souhaite déposer plainte, aux risques spécifiques menaçant les femmes handicapées. Elle souhaite plus particulièrement qu’une sensibilisation et une formation sur le psycho-traumatismesoient systématiquement dispensées aux professionnels intervenant dans le secteur du handicap.
Recommandation n° 8. La délégation souligne la nécessité de garantir l’information des personnes handicapées sur leurs droits, ce qui suppose le développement d’outils de communication dans des formats accessibles, quel que soit le handicap.La délégation salue le travail accompli par la MIPROF pour développer des kits de formation sur les violences faites aux femmes dans des formats divers. Elle recommande la systématisation de cette démarche inclusive, de façon à ce que tous les documents d’information et de formation sur les violences faites aux femmes puissent être diffusés aux personnes en situation de handicap.
5.POUR QUE LES FEMMES EN SITUATION DE HANDICAP SOIENT RECONNUES COMME DES « SUJETS DE DROITS» ET DES CITOYENNES À PART ENTIÈRE
Recommandation n° 9. La délégation rappelle l’importance cruciale de l’accessibilité des lieux destinés à l’accueil des victimes de violences aux personnes en situation de handicap, qu’il s’agisse des commissariats, des tribunaux ou des hébergements d’urgencepour leur permettre de faire valoir leurs droits et d’entamer des démarches judiciaires. La délégation promeut donc le développement d’outils et de procédures permettant aux personnes handicapées de porter plainte dans des conditions adaptées à la spécificité de leur situation. Elle estime que cet effort doit porter notamment en direction des personnes autistes et des personnes malentendantes. La délégation souhaite également la création de permanences juridiques en langue des signes et le recours à des interprètes diplômés en langue des signes dans les tribunaux, de façon équilibrée sur tout le territoire.
6.POUR FAIRE PROGRESSER LA SÉCURITÉ DES PERSONNES HANDICAPÉES
Recommandation n° 10. La délégation est favorable à la désignation de référents Intégrité physiqueau sein des personnels des établissements et services sociaux et médico-sociaux, dont la mission serait de recueillir le témoignage et d’orienter toute personneaccueillie dans un tel établissement qui déclarerait avoir été victime de violence ou d’agression.Elle préconise que ces référents soient spécialement formés au repérage des victimes de violences sexuelles, auxquelles sont tout particulièrement exposées les femmes en situation de handicap.
Recommandation n° 11. La délégation rappelle sa conviction :
- que le secret professionnel ne doit pas permettre aux professionnels, plus particulièrement aux professionnels de santé, de s’exonérer de leurs responsabilités quand ils sont en mesure de présumer qu’une personne handicapée est victime de violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ;
- et que le signalement de situations de violences peut sauver des vies. La délégation soutient donc la mise à l’étude de l’introduction, dans le code pénal, d’une obligation de signalementdes violences physiques, psychiques ou sexuelles, notamment à l’attention des professionnels de santé.
Recommandation n° 12. La délégation préconise de généraliser la consultation du Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violences (FIJAISV) pour le recrutement des professionnels et bénévolesintervenant dans les établissements spécialisés accueillant des jeunes en situation de handicap.
Recommandation n° 13. La délégation suggère d’enrichir la Stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement d’un volet autonome dédié à la prévention et à la lutte contre les violences sexuelles, qui affectent plus particulièrementles femmes.
7.POUR DONNER AUX ASSOCIATIONS LES MOYENS DE MIEUX ACCOMPAGNER LES FEMMES HANDICAPÉES
Recommandation n° 14. La délégation recommande que les subventions attribuées aux associations engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes handicapées fassent l’objet d’un effort budgétaire spécifique pour leur permettre de faire face à l’intensification de leur activité, et que cet effort s’inscrive dans une perspective pluriannuelle favorisant la prévisibilité de ces moyens financiers. Elle est convaincue que le « Grenelle contre les violences conjugales » doit impérativement déboucher sur des avancées substantielles pour permettre à ces actrices incontournables de la lutte contre les violences de franchir un cap dans le combat contre ce fléau.
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