Violences conjugales : bilan 2006 / 2016
Le 22 novembre, je me suis exprimée au Sénat sur le bilan de la lutte contre les violences conjugales, pendant la décennie 2006 / 2016.
Ce débat dans l'hémicyle a été demandé par la Délégation aux Droits des Femmes du Sénat qui vient de publier un rapport consacré à cette question.
j'ai fait écho à mes principales préoccupations en la matière, que sont la prise en charge des enfants dans les cas de violences conjugales, ainsi que les questions autour de la définition juridique du devoir conjugal.
Voici l'intégralité de mon intervention :
Monsieur le Président, Madame la ministre, Mes chers collègues,
La Délégation aux Droits des Femmes du Sénat a demandé ce débat parlementaire, dix ans après le vote de la loi du 4 avril 2006, et publié un rapport bilan de la décennie 2006 – 2016, dont le titre vaut constat : un combat inachevé contre les violences conjugales.
Permettez moi de citer en introduction les articles 212 et 213 du code civil lus par les officiers d’état civil célébrant un mariage : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance », ils « assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille… pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir ». Le devoir conjugal est ainsi rappelé aux futurs mariés, tout comme l’autorité parentale, avec la lecture de l’article 371 dudit code.
Pourtant, comme l’a rappelé notre présidente, Chantal Jouanno, les statistiques des violences conjugales sont toujours aussi cruelles. Nous pouvons être fiers que notre Délégation ait contribué, depuis sa création, à l’émergence d'un droit nouveau, reconnaissant les violences conjugales comme un délit, au même titre que toutes les violences. En 2010, j’ai eu l’honneur de réaliser un rapport consacré à la violence au sein des couples quels qu’ils soient, sujet tabou, réalité occultée le plus souvent perpétrée dans le huis clos familial, avec un très faible taux de révélation. 90 % des victimes n'osent pas porter plainte par peur de perdre leur logement ou la garde des enfants. Pour éviter que le domicile conjugal devienne lieu de non droit, nos travaux avaient conclu à de sages recommandations.
Pour n’en citer que deux, je rappellerai l'ordonnance de protection des victimes et la pénalisation du harcèlement, y compris psychologique.
La loi de 2006 a renforcé la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, traduisant une prise de conscience collective à la fois sociale, judiciaire, et législative. Dans son article 11, elle modifie le code pénal en faisant émerger le délit de viol entre époux. Si, en 1810, le « devoir conjugal » était une obligation qui rendait le viol inconcevable entre époux, ce n’est plus le cas aujourd’hui bien que les obstacles restent encore nombreux pour prouver cette infraction. La présomption de consentement a été supprimée par la loi de 2010 et toute relation sexuelle forcée par un conjointconstitue désormais un viol aggravé, puni de 20 ans de prison selon l’article 222-24 du Code pénal. Le volet législatif du droit des violences conjugales ne cesse donc de se construire, délivrant un message clair à la fois aux auteurs et aux victimes des comportements anormaux qu'ils infligent ou qu’elles subissent.
A l’issue du bilan de cette décennie, nous avons formulé de nouvelles recommandations qui s’inscrivent dans la continuité de celles formulées en 2010 tout en affinant les orientations. La délégation salue la montée en puissance de l'ordonnance de protection et indique, par exemple, que la formation des magistrats doit aussi se faire au plus près de leurs juridictions, avec un réseau national de référents spécialisés, afin de mieux prendre en compte les victimes et les conséquences traumatologiques des violences subies. Elle déplore que le financement des hébergements d’urgence reste encore trop fragile, tout comme l’accès au logement social. Les boitiers grave danger ayant faire leur preuve elle invite à les généraliser. Les référents « violences » sont un maillon essentiel dans les tribunaux, les cours d’appel, les commissariats de police ou dans les brigades de gendarmerie, dans le secteur de la santé et du médico social. J’ajouterais pour ma part que des référents violences doivent aussi être nommés dans les écoles.
Enfin, les experts auditionnés ont insisté sur les dangers pour les victimes de recourir à la médiation pénale, dans les cas de violences familiales, même avec leur accord.
En 2010, j’avais souhaité mettre l’accent sur la formation des personnels à la prise en charge des victimes. Aujourd’hui, pour moi, la priorité doit être donnée à la protection des enfants, exposés aux violences physiques et psychologiques, dont le sort a trop longtemps été passé sous silence. Permettez-moi d’insister sur leur vulnérabilité. Nous devons encore aller plus loin, les répercussions des violences conjugales sur l'enfant vulnérable sont désormais mieux reconnues : syndrôme de stress post-traumatique, retards dans le développement physique, troubles du comportement, conduites à risque, dépression, désinvestissement de la scolarité, brutalités à l'égard des autres, voire de la mère. Ne perdons pas de vue que la majorité des séparations devant le juge aux affaires familiales sont conflictuelles, peuvent mettre l'enfant en danger et le confrontent à des questionnements de loyauté face à ses deux parents.
En guise de conclusion je tiens à réaffirmer que les violences conjugalessont illégales comme toute forme de violence. Elles s'inscrivent dans un rapport de domination par lequel l'un des conjoints s'assure le pouvoir sur l'autre et les motifs qui justifient le passage à l'acte ne sont que des prétextes pour garantir le pouvoir recherché dans un rapport d'inégalité entre les deux parents. « La destruction par un autre de la capacité d'agir d'un sujet »c'est l'objet même de la violence et de l’emprise, comme l’affirme Edouard Durand Magistrat et membre du Haut conseil à l’égalité, entendu par la délégation le 17 novembre. Ce paradigme ne doit pas être supporté par les enfants, il faut les aider à en sortir le mieux ou tout du moins le moins mal possible, pour retrouver sécurité et stabilité, repères affectifs, éducatifs et sociaux.
Mais pour que le domicile conjugal ne soit plus un lieu de non-droit, les dispositions législatives seules ne suffisent pas. Elles doivent être accompagnées d’un effort de subvention aux associations de terrain mais aussi de formation, d’éducation transversale et volontariste et bien sûr d’information à l’intention du grand public.