FEMMES RESISTANTES - 27 MAI

FEMMES RESISTANTES - 27 MAI

Pour célébrer la journée nationale de la Résistance, la Délégation aux Droits des Femmes du Sénat organise un colloque consacré aux femmes résistantes, le 27 mai 2014.

 

Françoise Laborde  rend hommage au parcours de Mme Brigitte GROS, sénatrice issue de la Résistance, lors des débats sur "La Vie après la Résistance : l'engagement au service de la Cité".

En savoir plus sur le programme des débats

Partenariat avec le Musée de la Résistance de la Haute-Garonne

Lire le texte de son intervention du 27 mai 2014 :

 MME FRANÇOISE LABORDE PRÉSENTE BRIGITTE GROS (1925-1985)

C’est pour ma part Brigitte Gros que j’ai choisi de vous présenter cet après-midi.

Brigitte Gros a siégé au Sénat de 1973 à sa mort en 1985. Elle a été membre du groupe de la Gauche démocratique, dont est issu le groupe du Rassemblement démocratique social et européen auquel j’appartiens. L’honnêteté commande de dire que Brigitte Gros a également siégé parmi les non-inscrits après quelques mois au groupe socialiste, mais nous retiendrons aujourd’hui, si vous le voulez bien, la Gauche démocratique.

Quelques éléments de biographie, tout d’abord, avant d’évoquer une carrière politique bien remplie.

Née Servan-Schreiber, Brigitte Gros appartient à une famille dont le rôle éminent dans le journalisme ne se commente pas.

Elle est une jeune résistante puisque dès l’âge de 18 ans, en 1943, elle devient agent de liaison dans les maquis de l’Ain et y travaille sous les ordres de Léo Hamon, qui a lui aussi eu un engagement politique après la Résistance puisqu’il a été une grande figure de notre assemblée pendant la IVème République.

Brigitte Gros est arrêtée en 1944 avec deux de ses camarades de la Résistance. Elle a raconté plus tard avoir entendu leur mise à mort depuis le réduit où elle était enfermée. Elle a dû sa liberté au geste humain d’un officier allemand qui a sans doute eu pitié de sa jeunesse.

Lors de la Libération de Paris, elle est à l’Hôtel de Ville quand le général de Gaulle y prononce son célèbre discours  (une photo la montre tout près de lui).

Elle rejoint alors la Première armée puis participe à la Campagne d’Alsace. Selon une anecdote rapportée par sa sœur ici présente, c’est une couturière de quartier qui doit lui confectionner son uniforme, faute de tenues adaptées dans les dotations militaires.

Son courage lui vaut d’être décorée de la Croix de guerre, avec la citation suivante : « Toujours volontaire pour les missions périlleuses, elle a donné l’exemple du plus pur courage ».

Après la guerre, elle devient journaliste et travaille pour les Echos, Paris-Presse-l’Intransigeant et l’Express, créé par son frère Jean-Jacques Servan-Schreiber. Elle acquiert une véritable spécialisation dans les domaines de l’urbanisme et des transports qui aura par la suite beaucoup d’importance dans son action politique.

Elle devient membre du bureau national du Parti républicain radical et radical-socialiste, où elle côtoie Pierre Mendès-France. En 1962, elle est élue conseillère municipale de la ville de Meulan, dans les Yvelines. Elle en devient maire l’année suivante, et conservera ce mandat jusqu’à la fin de sa vie.

En septembre 1973, elle entre au Sénat après le décès d’Aimé Bergeal (une photo la montre salle des conférences). Elle siège selon les époques à la commission des Affaires économiques et du Plan ou à la commission des Affaires culturelles – ce qui est un autre élément de connivence entre nous puisqu’il se trouve que je suis également membre de cette commission.

Dans les domaines relevant de la compétence de la commission des Affaires culturelles, Brigitte Gros prend tout naturellement une part active aux discussions législatives sur la communication audiovisuelle (elle s’intéresse notamment aux radios locales) et sur la presse écrite dont elle défend activement le pluralisme ; elle s’intéresse aussi de manière très pointue à des aspects techniques comme le prix des journaux, les modalités de leur distribution et les recettes publicitaires.

De manière plus anecdotique, elle prend également partie pour la suppression du baccalauréat à travers une proposition de loi qu’elle dépose en 1980.

Son action de sénatrice reflète également ses convictions féministes qui peuvent encore aujourd’hui interpeller les membres de la délégation aux droits des femmes ont je fais partie.

Sa première intervention au Sénat porte sur les crèches[1]. En 1974, dans un débat sur l’amélioration de la condition féminine, elle consacre un long développement au problème de modes de garde des jeunes enfants qui sont malheureusement toujours d’actualité[2].

En 1978, elle dépose deux propositions de loi qui ne peuvent laisser indifférents les membres de la délégation aux droits des femmes : l’une pour protéger les femmes du viol[3], et la seconde pour faciliter l’accès des femmes à la vie publique (déjà !). Il faut dire qu’à l’époque, le Sénat ne compte que cinq sénatrices

En 1979, elle intervient dans le cadre du projet de loi relatif à l’IVG[4] qui vise à reconduire la loi Veil de 1975 et s’inquiète des risques de résurgence des drames de l’avortement clandestin pour les femmes de condition modeste, en raison des contraintes liées à l’accès à l’IVG : ce problème est, lui aussi, encore à certains égards d’actualité…

En 1982, lors de la discussion d’un projet de loi concernant l’élection des conseillers municipaux, elle s’insurge contre l’insuffisante représentation politique des femmes en France et propose par amendement de prévoir la présence de 30 % de femmes sur les listes de candidats dans les communes de plus de 15 000 habitants[5] . Je vous laisse deviner quel succès a remporté cet amendement !

J’en viens à son action dans des domaines plus directement liés, peut-être, à la nature profonde du Sénat, naturellement tourné vers les questions concernant la vie locale.

Brigitte Gros prend une part active à la discussion des grandes lois de décentralisation du début des années 1980. Elle montre ainsi de très solides connaissances en matière de finances et de fiscalité locales. La technicité de ses interventions sur ces sujets fait particulièrement honneur à notre assemblée.

Mais c’est probablement par son engagement dans les questions d’aménagement urbain et de logement que l’action de Brigitte Gros mérite un développement particulier.

Ses connaissances sont plus que solides dans le domaine des transports urbains ; elle connaît bien les problématiques de la desserte des banlieues et se bat pour la création d’emplois proches des lieux d’habitat. Son livre Les Paradisiennes, paru en 1970, aborde la question de la vie dans ce qu’on appelle alors les « grands ensembles ». (voici une photo de Brigitte Gros au milieu de « barres » à Meulan).

Les difficultés que posent les transports dans la vie quotidienne des habitants des banlieues, elle les connaît très bien. Elles lui ont inspiré en 1970 un livre, intitulé Deux heures de transport par jour, qui sera adapté au cinéma sous le titre Elle court, elle court, la banlieue : toute une génération se souvient encore de l’actrice Marthe Keller dans le rôle de l’héroïne ! (à l’écran, une photo du tournage montre Brigitte Gros avec l’actrice)

Brigitte Gros évoquera d’ailleurs ce film au Sénat en 1983, lors de la discussion du projet de loi sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, pour rappeler l’importance du problème des transports quotidiens dans la condition de la femme au travail[6].

Ses préoccupations en matière de transports la rendent visionnaire : elle dépose en 1975 une proposition de loi créant une carte d’auto-stoppeur : inspirée par la crise de l’énergie, c’est le co-voiturage avant l’heure !

La maladie, hélas, après un combat courageux, l’emporte en 1985, à l’âge de 60 ans. Dans son éloge funèbre, le président Alain Poher rend hommage aux qualités de Brigitte Gros en évoquant, je cite, « son éloquence persuasive et (… son) extraordinaire puissance de travail » mise au service d’un « message pour un mieux-vivre des populations, pour le respect des libertés, pour plus de justice ».

Pour ma part, j’ai pris beaucoup de plaisir et d’intérêt à découvrir ce personnage hors du commun, que je regrette beaucoup de n’avoir pas connu, et à faire revivre sa mémoire à l’occasion de ce colloque.

 


[1] Journal Officiel du 10 octobre 1973, séance du 9 octobre 1973, question orale de Mme Goutmann

[2] Journal Officiel du 9 octobre 1974, séance du 8 octobre 1974

[3] Journal Officiel du 28 juin 1978, Séance du 27 juin 1978

[4] Journal Officiel du 15 décembre 1979, Séance du 14 décembre 1979, p. 5448-5449

[5] Journal Officiel du 14 octobre 1982, Séance du 13 octobre 1982, p. 4500-4513.

[6] Journal Officiel du 12 mai 1983, Séance du 11 mai 1983, p. 796.