Faut-il inscrire le droit à l'IVG dans notre Constitution ?

Faut-il inscrire le droit à l'IVG dans notre Constitution ?

J'interviens ce mardi 3 avril 2018, au Sénat, dans le cadre du débat demandé par le groupe CRCE sur la nécessité, ou non, de graver dans le marbre du bloc constitutionnel, le droit à l'Interruption Volontaire de Grossesse.

Voici le texte de mon intervention au nom du groupe RDSE :

 

"Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mes chers collègues,

Je tiens à remercier le groupe CRCE et sa présidente Eliane Assassi d’avoir mis à l’ordre du jour de nos débats la question de l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, dans le prolongement de la proposition de loi constitutionnelle n°545.

De prime abord, il m’est difficile d’être contre cette idée généreuse. En tant que femme et citoyenne, vice-présidente de la Délégation aux Droits des Femmes et membre du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, mon action politique se caractérise par une détermination à faire progresser le droit des femmes à disposer de leur corps et à défendre nos acquis en la matière.

Je comprends l’objectif poursuivi, à savoir graver ce droit dans notre norme suprême. La prochaine réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République pourrait en être le véhicule idéal. Néanmoins, je suis plus prudente quant à la solution que vous préconisez car les termes de notre débat dépassent la question de notre conviction personnelle sur le droit à l’IVG. Il s’agit de nous prononcer sur la nécessité juridique et politique, ou non, d’inscrire ce droit dans le marbre du bloc constitutionnel.

Notre arsenal législatif est solide, complet et paraît suffisant pour pérenniser l’accès à l’IVG pour celles qui le souhaitent. Mais, il est vrai, la légalisation ne suffit pas à garantir, à elle seule, un accès optimisé à l'avortement. Ce droit nécessite un engagement volontariste et constant des pouvoirs publics et des élus, afin d’en garantir les meilleures conditions de mise en œuvre, en pratique, notamment dans les établissements de santé, ou encore par le déploiement de campagnes d’information. J’insiste, notre rôle d’élus est aussi de concentrer nos efforts pour garantir l’effectivité de ce droit.

C’est la raison pour laquelle, en 2017, tirant les conclusions des difficultés constatées sur le terrain, nous avons choisi de renforcer le régime de pénalisation du délit d’entrave à l’IVG, avec le nouvel article L. 2223-2 du code de la santé publique, modifié par la loi du 20 mars 2017 relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse. Elle punit, désormais, de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, le fait d'empêcher de s'informer sur une interruption de grossesse ou sur les actes préalables prévus par ce code, mais aussi de tenter d'empêcher de la pratiquer :

– soit en perturbant l'accès aux établissements qui pratiquent des IVG, la libre circulation ou les conditions de travail dans ces mêmes lieux ;

– soit en exerçant des pressions morales, psychologiques ou physiques sur les personnels de ces établissements, les femmes qui s’y rendent ou sur leur entourage.

C’est une avancée déterminante, à mes yeux, renforçant concrètement l’accès à l’IVG. Aussi, avec mes collègues du groupe RDSE, nous nous posons une question simple : qu’apporterait, au quotidien, pour nos concitoyennes l’entrée du droit à l’interruption volontaire de grossesse dans notre Constitution?

En ce qui me concerne, je préférerais que soit respectée une forme de hiérarchie avec l’inscription, en priorité, du principe qui me semble supérieur par son champ d’application, je veux parler de l’égalité entre les femmes et les hommes, dont découle le droit de chacun à disposer de son corps et donc le droit à l’IVG. Nous ne devrions toucher qu’avec prudence et humilité à la Constitution, notre bien commun, socle intangible de nos droits fondamentaux. Elle doit d’abord organiser nos grands principes républicains et n’a pas vocation à devenir le réceptacle d’un catalogue bavard de droits et libertés, dont nul au demeurant ne remettrait en cause le bien-fondé. Nous estimons donc qu’il revient en premier lieu au législateur, appuyé par l’office du juge que vise l’article 66 de la Constitution, d’œuvrer au progrès des droits et libertés.

Pour notre part, le groupe RDSE s’en remet au choix fait par la Délégation aux Droits des Femmes, en mars 2017, avec la proposition de loi constitutionnelle n°454, visant à inscrire à l’article 1er de la Constitution le principe d’égalité devant la loi sans distinction de sexe. Si je peux entendre et comprendre vos arguments, il me paraît indispensable de concentrer notre combat pour l’égalité sur l’effectivité réelle de l’accès à l’IVG, sur le terrain, partout en France. Inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution me semblerait donc prématuré, considérant que notre arsenal législatif en assure déjà les conditions d’accès.

Commençons donc par le commencement, mes chers Collègues, lors de la prochaine révision constitutionnelle, en inscrivant l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe et le reste en découlera : lutte contre les violences sexistes et sexuelles, droit à la contraception et à l’avortement et droit des êtres humains à disposer de leur corps.

Je vous remercie."