Table ronde sur la Censure au Cinéma
Vendredi 23 septembre j'étais l'invitée du Fifigro (Festival International du Film Grolandais) pour une table ronde sur la censure au Cinéma dans les locaux de Mix Art Myris.
La censure au cinéma s’est très souvent exercée en référence aux questions de morale ou aux multiples interdits dont nos sociétés ont besoin pour limiter les risques de dérive et les excès. Les questions de mœurs, la sexualité, les addictions, la violence physique… relèvent de ce champ.
Dans certains cas, la censure a aussi servi à atténuer la mise en lumière trop directe d’un fait historique ou d’une prise de position jugée embarrassante par le pouvoir en place : je pense à des films comme « Nuit et Brouillard » (Alain Resnais, 1962), qui pointait les responsabilités de l'État français en matière de déportation, aux « Rendez-vous des Quais » (1955), une œuvre du cinéaste communiste Paul Carpita qui prend fait et cause pour les manifestations contre la guerre d’Indochine et témoigne de la grande grève des dockers de 1950, au « Dictateur » (Chaplin, 1940) ou encore à « La Bataille d’Alger » (sorti en 1966 et censuré jusqu’en 2005).
Tous ces exemples ont leur importance, mais ce qui m’intéresse, c’est le lien qui existe entre la façon dont nos sociétés modernes évoluent et les allers et retours de la censure :
Si « Et Dieu créa la femme » a été interdit aux moins de 16 ans à sa sortie en 1956 parce que BB y dévoilait une partie de ses charmes, inutile de préciser qu’il en a fallu un peu plus dans les années 70 pour prononcer la même interdiction et ne parlons pas des images d’aujourd’hui. Que nous dit cet assouplissement de la censure ? Tout simplement que mai 68 et la libération sexuelle sont passés par là et que la représentation du corps est une possibilité artistique à laquelle les cinéastes (comme les metteurs en scène de théâtre d’ailleurs) peuvent se livrer librement.
A l’époque où « Et Dieu créa la femme » ne pouvait être diffusé sur le petit écran qu’accompagné du « carré blanc » (ce que je dis-là ne peut rien évoquer aux moins de… 50 ans), on pouvait aussi voir Belmondo, Mireille Darc ou le commissaire Maigret allumer cigarette sur cigarette, à l’intérieur d’un café, dans un restaurant ou dans leur salon. Bien sûr, ce n’est pas du fait de la censure que le acteurs d’aujourd’hui ne fument qu’à l’extérieur. En revanche, je sais que, récemment, la production du film « Coco avant Chanel » a été contrainte de refaire une campagne d'affichage pour supprimer une cigarette entre les doigts d'Audrey Tautou. Pourquoi ? Probablement parce que la loi Evin a radicalement transformé les connotations associées au tabac dans notre quotidien.
Je prendrais comme dernier exemple la façon dont l’homosexualité a été traitée dans le cinéma du 20ème siècle. Je ne m’étendrai pas sur le sujet, car le documentaire américain « The Celluloid Closet » (1996) montre parfaitement comment le cinéma hollywoodien s’y est pris pour aborder la question, comment cette représentation a évolué au fil des ans et comment, en retour, elle a influencé la perception de l’homosexualité par le grand public. Et c’est sur cette question (ou ce paradoxe) que j’aimerais conclure : entre les avancées de la société et leur représentation possible à l’écran, qu’est-ce qui agit sur quoi ? Une autre manière de le dire (un peu plus provocatrice peut-être) : si l’on admet que la censure génère toujours des stratégies destinées à la contourner, ne contribue-t-elle pas, d’une certaine manière, à faire avancer les mentalités ?