Le Parlement en Congrès à Versailles pour lutter contre le terrorisme
Convoqués par le Président de la République en Congrès à Versailles, le 16 novembre 2015, les parlementaires ont rendu un hommage solennel aux victimes des attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis. Ils ont dressé les grands axes de la lutte contre le terrorisme. J'y étais.
" M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen du Sénat.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, Paris est meurtri et c’est toute la France qui saigne. Au-delà, sur toute la planète, les démonstrations d’affection et de soutien démontrent que ce sont les valeurs essentielles de liberté, d’égalité et de fraternité qui sont foulées aux pieds par ceux qui incarnent au plus haut point tout ce que ne doit pas être l’humanité : sectarisme, intolérance, haine, ingrédients de la barbarie.
Les assassins ont attaqué un mode de vie. Avec leur regard froid de tueurs, ils ont massacré de jeunes femmes, de jeunes hommes, nos enfants de cette France que nous aimons. Chaque photo de ces jeunes souriant, goûtant la vie avec joie, est une souffrance pour leurs familles et pour chacun d’entre nous. Pensons d’abord à eux, à tous les blessés qui luttent pour la vie, ainsi qu’à ceux qui se sont montrés héroïques, par un mouvement naturel ou de par leurs fonctions.
Chacun de ces visages, chacune de ces vies, est irremplaçable. Le moment est celui du deuil. Il doit être aussi, simultanément, celui de l’action. Le moment n’est pas à pointer les responsabilités, même si cela viendra forcément. Il est un temps pour tout.
Le malheur nous frappe. Sachons y associer tous ceux dans le monde qui viennent d’en être victimes : Russes, Turcs, Égyptiens, Libanais et tant d’autres... La France n’est pas la seule victime, pas la seule cible.
Le moment est celui du soutien unanime aux institutions de la République, une, indivisible et laïque, du soutien à nos forces de l’ordre, police, gendarmerie, armée, dont nous saluons la détermination et le courage et dont nous savons l’ampleur de la tâche épuisante depuis des mois dans ce contexte dramatique.
Au nom de mon groupe, je tiens à assurer au Gouvernement, au Premier ministre, au ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, qui honore chaque jour sa fonction et la République (Applaudissements), notre soutien sans réserve pour défendre les institutions de notre nation. Quelles que soient nos appréciations quant à la politique étrangère qui a été menée, une priorité s’impose et ne souffre aucune réserve : faire face, faire face à Daech, faire face au terrorisme, ne pas reculer, ne pas baisser la tête, rester debout avec la fermeté, la froide mais calme détermination que requièrent les drames qui ponctuent la vie des nations.
Monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré que nous sommes en guerre. Alors, comme le disait et le faisait le plus grand de vos prédécesseurs, auquel, par-delà nos différences, nous sommes tous deux très attachés, faites là !
Faire la guerre, c’est accepter d’en subir les conséquences. Si les Français prennent conscience de la gravité de la situation, ils attendent que tous les moyens soient mis en œuvre pour assurer la sécurité dans le pays. C’est la priorité des priorités !
Vous voulez une prolongation de l’état d’urgence ? Vous l’obtiendrez, sous le contrôle du Parlement ! C’est une restriction des libertés ? Oui ! C’est contraire à nos principes ? Oui ! Mais, pendant cette période de crise dramatique, si cela permet de sauver une seule vie d’innocent, nous vous accorderons cette confiance indispensable. (Applaudissements.)
Vous prenez la décision de fermer des mosquées où la haine est prêchée, de poursuivre des imams propagateurs de haine ? Vous avez raison et nous vous approuvons ! (Applaudissements.)
Comment ne pas rappeler ici que l’article 26 de la loi de 1905 dispose qu’« il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte », et que son article 35 dispose notamment que, « si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique », ceux qui commettent ces infractions sont passibles de deux ans de prison ? (Applaudissements.)
M. Alain Bertrand et M. Michel Bouvard. Excellent !
M. Jacques Mézard. Quand la IIIe République devait faire preuve de fermeté contre le pouvoir religieux dans la sphère publique, pourquoi la Ve République n’applique-t-elle pas la même loi contre ceux qui prêchent la haine et la mort dans nos murs ?
Le but clairement identifié de Daech est de diviser notre société. Tout ce qui concourt à marginaliser, à isoler de l’ensemble de la nation française les 5 millions de Français musulmans doit être condamné. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) La minorité qui discrédite nos compatriotes musulmans doit être combattue car elle est d’abord l’ennemie de nos compatriotes de confession musulmane. (Mêmes mouvements.) Tout ce qui est un obstacle à l’intégration harmonieuse de ces derniers est un danger pour la République. Il est de la responsabilité, du devoir, de l’honneur de chacune et de chacun des responsables politiques de s’interdire tout propos discriminatoire vis-à-vis de compatriotes qui sont partie intégrante de la communauté nationale. (Mêmes mouvements.)
La graine de la division est facile à cultiver. Il nous appartient de l’empêcher de germer.
J’ai rappelé la loi de 1905. Ce rappel a deux objectifs
En premier lieu, affirmer le caractère laïc de notre République et exprimer au nom du groupe parlementaire qui l’a toujours incarné que toutes les dérives communautaristes que nous avons dénoncées ces dernières années sont incompatibles avec nos principes ; que cela commence à l’école et se poursuit dans tous les secteurs de la vie en société.
En second lieu, appeler une nouvelle fois l’attention du Gouvernement sur l’impérieuse nécessité, plutôt que de légiférer constamment en réaction aux événements, d’appliquer les lois existantes, dont l’arsenal est la plupart du temps suffisant. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) S’il existe certaines lacunes dans la loi de 1955 et concernant les dérives de l’utilisation d’internet, comblez-les ! Mais aujourd’hui nos concitoyens n’attendent pas seulement de nouvelles lois : ils attendent de l’action en exécution des lois existantes de la République. (Mêmes mouvements.)
Dans ce contexte, la mobilisation de tous les moyens est indispensable et il serait inopportun et peu responsable de considérer que cela n’entraînera pas des besoins financiers supplémentaires, qui seront pris sur d’autres chapitres. Là encore une concertation en amont entre tous les groupes politiques et le Gouvernement est indispensable.
Je ne saurais m’abstraire, dans mon propos, des considérations internationales. Tout d’abord concernant l’Europe : la compassion exprimée par nos voisins est d’une profonde sincérité et nous devons l’apprécier en tant que telle, parce qu’aujourd’hui nos peuples n’ont jamais été aussi proches par leur mode de vie et leurs échanges économiques et culturels. Mais cela n’enlève rien à une constatation : c’est la France qui mène, trop seule sur le terrain, le combat de la défense des valeurs partagées par les nations européennes. Oui, nous pouvons espérer moins de directives et plus de soutien sur le terrain ! (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
Il n’est pas inconvenant de souligner que globalement, face à la crise au Moyen-Orient et aux drames vécus par des millions d’êtres humains, la réponse européenne s’est trop caractérisée par l’égoïsme, l’absence de cohérence, quand ce ne fut pas le chaos. Et pourtant, il n’est de bonne réponse que dans le cadre européen.
Le Président de la République a raison de saisir le Conseil de sécurité de l’ONU et d’appeler à la cohérence de l’Europe ainsi qu’à une grande et unique coalition.
J’en viens aux décisions prises pour lutter en Irak et en Syrie contre Daech. Quand des soldats français sont en opération, le soutien de toute la nation s’impose de facto. Il s’impose d’autant plus quand la cible est une organisation criminelle bafouant toutes les valeurs.
Quand on fait la guerre, il faut unir tous ceux qui combattent le même ennemi, sans exception, du gouvernement en place en Syrie à la Russie et à la Turquie, et, comme le soulignent nombre de nos amis arabes, rechercher un consensus et un agenda avec les sensibilités et expressions locales. Si l’on nous dit, comme on le fait à juste titre, que la base de Daech est l’Irak, il faudra bien à l’avenir s’interroger et tirer toutes les conclusions nécessaires quant à l’opportunité des interventions des puissances occidentales en Irak par le passé, et, plus près de nous, en Libye.
En ces heures où la représentation nationale doit, autour du Gouvernement, être à la hauteur des enjeux, des inquiétudes des Français, ce qui nous réunit est plus fort que ce qui divise : c’est le visage d’une France fidèle à ses valeurs et à son histoire, confiante en sa jeunesse, que nous devons montrer, en rejetant toute tentative de récupération par qui que ce soit, en rassemblant toutes les sensibilités dans le respect de leur diversité.
Mes chers collègues, il est des moments où l’on a envie de crier sans emphase et avec toute la force de son être : que vive la République ! (Applaudissements.) "
- Déclaration de M. le Président de la République : M. François HOLLANDE, Président de la République