Faire revenir la république à l'école

Faire revenir la république à l'école

La rentrée scolaire est l'occasion de revenir sur les conclusions du rapport réalisé à l'occasion de la commission d'enquête sur le service public de l'éducaiton que j'ai présidée cette année.

Un article du Monde des Religions revient sur nos travaux, sous la plume de Louise Gamichon, le  31 août 2015 :

extraits :

« Des sénateurs veulent faire « revenir la République à l'école »

Les « valeurs de la République » auraient-elles déserté l'école ? Oui, si l'on en croit le rapport d'une commission d'enquête sénatoriale. Des propos à nuancer. La présidente de cette commission pointe les mesures qui, pour elle, font particulièrement sens.

Après six mois de travaux, une commission d'enquête du Sénat a rendu son rapport sur la laïcité et les valeurs de la République à l'école. Verdict du rapporteur Les Républicains Jacques Grosperrin : « Dix ans plus tard, le diagnostic reste le même » que dans le Rapport Obin de 2004 « mais le mal a empiré ».

Selon le sénateur, les religions s'expriment toujours plus fortement dans les établissements scolaires. Il pointe des « revendications identitaires » notamment au travers de « tenues vestimentaires à connotation clairement religieuse », de « régimes alimentaires spécifiques », d'un « absentéisme à répétition au moment de fêtes religieuses », de « contestation de contenus d'enseignement », de « comportements sexistes ».

Face à ce constat, Jacques Grosperrin a élaboré une vingtaine de propositions très fermes (1), parmi lesquelles la « sacralisation de l'école », la mise en place de « tenue d'établissement » (uniforme), le « rappel en début de semaine par le chef d'établissement des valeurs citoyennes autour de sujets d'actualité », l'élaboration d'un « code de déontologie » pour les enseignants, la « modulation des allocations familiales pour lutter contre l'absentéisme » ou encore la création « d'établissements spécifiques pour les élèves les plus perturbateurs ». Une réponse intransigeante qui interroge certains sur la part d'affichage politique de telles mesures : à quel point doivent-elles être prises au pied de la lettre ?

Changement de ton

Contrairement au Rapport Obin de 2004, qui soulignait à plusieurs reprises que « cette étude ne peut prêter à généralisation et à dramatisation excessive : les phénomènes observés l'ont été dans un petit nombre d'établissements » (p 6), le rapport de 2015 « Faire revenir la République à l'école » ne nuance le propos qu'une seule fois : « Il convient de ne pas tomber dans le catastrophisme [...] ces incidents [liés à la minute de silence en hommage aux victimes de l'attentat contre Charlie Hebdo NDLR] concernent une petite minorité d'établissements et, à l'intérieur de ceux-ci, une minorité d'élèves », indique le rapporteur à une seule occurrence (p 26).

Autre différence, méthodologique cette fois, les auteurs du rapport Obin indiquaient : « Nous sommes allés sur le terrain observer quelques dizaines d'établissements scolaires répartis dans une vingtaine de départements : soixante et un collèges, lycées et lycées professionnels publics jugés susceptibles, davantage que d'autres, d'être affectés par des manifestations de la religion » (p 5), quand les sénateurs ont effectué « 9 déplacements, dont un à l'étranger, 5 en régions et 3 à Paris et en Ile-de-France » (p 11).

Enfin, le Rapport Obin analyse plus en profondeur les liens entre la situation à l'extérieur de l'établissement, notamment celle des quartiers « ghettoïsés » en y consacrant un chapitre entier, quand le rapport sénatorial se concentre davantage sur les contenus des enseignements (l'importance de l'apprentissage des humanités, l'éducation civique, l'enseignement du fait religieux) ainsi qu'à la formation des professeurs.

Le rapport « Faire revenir la République à l'école » est le résultat d'une commission d'enquête demandée par le groupe UMP – devenu Les Républicains – en janvier 2015, peu après les attentats contre Charlie Hebdo. Cette commission, composée de 21 sénateurs de toutes couleurs politiques, a été constituée par « droit de tirage ». Cela signifie que les fonctions de rapporteur et de président sont partagées entre la majorité (de gauche) et l'opposition. En l'occurrence, le rapporteur était le sénateur de droite Jacques Grosperrin, la présidente et la sénatrice PRG Françoise Laborde. Elle s'est abstenue de voter le rapport, mais tenait à ce que ce travail de six mois, ainsi que les nombreuses auditions retranscrites, soient rendus publics. Elle explique : « Je n'aurais pas tiré les mêmes conclusions », même si elle partage quelques analyses effectuées par son collègue. Le document a été adopté grâce aux sénateurs de droite de la commission à 11 voix pour, 8 contre et 1 abstention. A l'origine, le titre provisoire du rapport était : « Valeurs républicaines et École de la République : pour mieux former nos citoyens de demain ». Il a été modifié à la fin du travail de rédaction.

Tout n'est pas à jeter

Pour la sénatrice Françoise Laborde, certains éléments du rapport doivent être défendus. Elle est particulièrement attachée au deuxième axe des propositions, qui traite notamment de la formation des enseignants. « Aucun Espé [ancien IUFM] n'a la même maquette de formation. Cela signifie que les jeunes enseignants ne sont pas formés de la même façon », s'insurge-t-elle. Elle pointe un déficit d'apprentissage des valeurs citoyennes chez les professeurs. Elle demande à la fois le rétablissement d'une épreuve sur ce thème lors des concours et un horaire dédié inclus à la maquette des Espé. Elle propose aussi des « mises en situation », afin de donner un aspect plus pratique à la formation, de donner des éléments de réponses aux questions et attitudes des élèves. Elle soutient également un renforcement de la formation continue et l'interdiction d'affecter des enseignants débutants dans des zones difficiles.

Elle aborde également la question des contractuels : « Environ 7,5 % des professeurs ne sont pas fonctionnaires et n'ont pas été formés dans les Espé ». Ce chiffre peut monter à 30 % dans les zones sensibles et les territoires à faible attractivité. « La signature du règlement intérieur et le code de déontologie peuvent être particulièrement utiles pour ces enseignants. Cela permet de remettre tous les professeurs au même niveau », souligne Françoise Laborde.

Dans le même temps, la sénatrice déplore une baisse de niveau des élèves concernant la maîtrise du français. Un élément qui empêche les enfants de construire une réflexion complexe, qui adhèrent par conséquent aux raisonnements simplistes comme les « théories du complot ». Elle dénonce par ailleurs une baisse de la capacité d'attention des enfants et adolescents, imputée notamment aux téléphones portables et tablettes. Un brin provocatrice, elle revient sur la proposition de créer des « établissements spécialisés pour les élèves les plus perturbateurs » : « Si c'est bien fait, qu'ils travaillent en petit groupe, ce qu'on a du mal à faire en France, ça ne me choque pas... A Montfermeil, une fondation a mis en place ce type d'école. Le résultat est formidable. Il faut avoir l'honnêteté de dire les choses ». Elle insiste sur le mot fondation.

Si la sénatrice Françoise Laborde n'adhère pas à toutes les conclusions du rapport, elle affirme ne pas vouloir que certaines idées « finissent sur une étagère à prendre la poussière ». Elle présentera le travail de la commission d'enquête en séance publique au Sénat à la rentrée.

L'éducation civique, une spécificité Française

Si le rapport dresse une image assez sombre de la situation, notamment à travers la déconsidération des professeurs et le rejet des valeurs de la République par des élèves, le rapporteur note que « la France dispose de l'un des enseignements d'éducation à la citoyenneté les plus complets d'Europe » (p 56). En effet, l'Hexagone est l'un des rares pays à dispenser un module d'éducation civique obligatoire de la primaire à la terminale avec des horaires dédiés.

Dans la pratique, le rapporteur déplore l'aspect « trop technique » de ces cours, qui peuvent alors être vécus comme un « catéchisme républicain ». Il pointe aussi un nombre d'heures insuffisant et un enseignement « perçu comme une variable d'ajustement », autrement dit une « petite matière » selon une personnalité auditionnée.

Le rapport invite à revoir la pédagogie des cours d'éducation civique. Il propose également de renforcer l'enseignement du fait religieux « dans le cadre du renforcement de l'enseignement des humanités ». Dans son état actuel, cette thématique transversale est « déconnectée de la réalité des élèves », indique le rapporteur. Il souligne : « En outre, il n'aborde que très partiellement le fait religieux, qu'il limite, dans les programmes, aux seules trois religions du Livre ». Pas de cours dédiés, mais plutôt un élargissement du « périmètre d'enseignement à la compréhension des religions comme phénomène social et culturel à chaque époque », en conservant l'aspect transversal et pluridisciplinaire du sujet.

(1) Les 20 propositions du rapport « Faire revenir la République à l'école » :

• Sacralisation de l'école avec interdiction du port de signes ou de tenues ostensibles d'appartenance religieuse, politique ou philosophique pour les accompagnatrices et accompagnateurs de sorties scolaires
• Mise en place d'un pacte proposé aux enseignants : code de déontologie / serment d'entrée en fonction / signature du règlement intérieur de l'établissement
• Réaffirmation de l'exposition obligatoire et effective des emblèmes de la République dans tous les établissements d'enseignement (drapeau, devise « Liberté, Egalité, Fraternité », Déclaration des droits de l'homme et du citoyen à côté de la Charte de la laïcité)
• Port d'une tenue d'établissement
• Recentrage du programme de l'histoire de France et de sa chronologie autour du récit national
• Rappel en début de semaine par le chef d'établissement ou l'enseignant des valeurs citoyennes autour de sujets d'actualité
• Révision de la maquette des formations en ÉSPÉ et des concours en y valorisant la transmission des valeurs républicaines
• Effort massif sur la formation continue, dans le cadre d'un plan pluriannuel
• Interdiction d'affecter en zone difficile des enseignants débutants sauf demande de l'intéressé et obligation de remplacement
• Renforcement de l'autonomie des chefs d'établissement, en leur donnant un droit de regard sur le recrutement des nouvelles équipes, dans le respect des règles de la Fonction publique
• Institution d'un véritable statut de directeur d'école dans l'enseignement primaire
• Élaboration d'un code de bonne conduite à l'école, assorti d'un barème clair de sanctions prévoyant des travaux d'intérêt général scolaire
• Création dans chaque département d'un établissement spécialisé d'accueil pour les élèves les plus perturbateurs
• Évaluation de la maîtrise du français tout au long de l'enseignement élémentaire, notamment en CM2 conditionnant l'accès en 6ème, l'apprentissage de la langue française devenant l'axe central des programmes du primaire
• Suppression des ELCO (dispositif d'enseignement des langues et cultures d'origine) et intégration de l'enseignement de ces langues dans le programme d'apprentissage des langues étrangères
• Interdiction des tablettes au primaire et mise à l'étude d'un dispositif de brouillage des téléphones portables dans les écoles et les collèges
• Modulation des allocations familiales pour lutter contre l'absentéisme scolaire
• Information systématique des parents par SMS de toute absence injustifiée de leurs enfants
• Mise en place dans l'enseignement public d'un système de remontée directe des incidents jusqu'au ministère
• Meilleur contrôle du Parlement sur les choix stratégiques en matière d'enseignement, notamment au travers d'un débat annuel sous l'autorité de la commission de la culture

Documents :
Rapport Obin
http://media.education.gouv.fr/file/02/6/6026.pdf

Rapport « Faire revenir la République à l'école »
http://www.senat.fr/rap/r14-590-1/r14-590-11.pdf